Un autre théâtre

Jean-Pierre Han

25 novembre 2022

in Critiques

LVVI – La Vieille Vierge Insomniaque de Dominique Collignon Maurin. Mise en scène de l’auteur. Spectacle créé au Théâtre de l’Échangeur de Bagnolet le 17 novembre 2022. Théâtre Garonne à Toulouse, du 30 novembre au 2 décembre, puis Théâtre du Bois de l’Aune, le 13 décembre.

Frode Bjornstad

La dernière création de La Colline Compagnie que dirige Dominique Collignon Maurin repose – pour le meilleur – sur un étonnant paradoxe. On peut en effet lire dans La Vieille Vierge Insomniaque (LVVI), de manière transparente, toutes les influences dont a su se nourrir le spectacle, de Tadeusz Kantor à Artaud, via Witkiewicz et Gombrowicz, de Jarry encore plus sûrement et dont il avait monté jadis Par la taille, avec déjà Marie Vayssière et Emmanuèle Stochl que l’on retrouve ici – rien que de l’excellente semence comme on les aime –, et pourtant l’œuvre qui nous est présentée aujourd’hui est d’une parfaite et forte originalité. Ce n’est pas tout : sous des dehors potaches et iconoclastes, dans une perpétuelle sérieuse drôlerie, il s’avère qu’il n’hésite pas à s’en aller sur des terrains plus ardus, passant gaillardement de la sainte Famille à une famille d’artistes, mélangeant allègrement le tout, l’un nourrissant l’autre et inversement, dans des jeux de va-et-vient, des vrais jeux (éminemment théâtraux) de rôles, c’est le cas de le dire. On passe donc sans coup férir d’un registre à un autre, dans leurs mélanges et confusions, le tout ponctué par des percussions, histoire sans doute d’enfoncer les clous. Cette sainte agitation ne trouve sa légitimité que parce qu’à la base et au-delà de la féroce drôlerie, l’écriture de Dominique Collignon Maurin, est de nature poétique.

LVVI est aussi une pièce sur la dévoration, réelle et symbolique. L’une des premières répliques de la Vieille Vierge Insomniaque est celle-ci : « Ma custode, où est-elle ? Mes hosties ! On a volé mes hosties ! Je n’aurais rien pris, rien mangé ! Où il est, mon doux Jésus-Marie mangé ! Où il est mon mari mangé ! »… plus loin encore : « Combler avec de bons morceaux de chair »… ou « Je m’en vais le dévorer membre par membre et je m’en irai le vomir à la tinette ». Quant à l’autre famille, celle des « artistes », celle qui entre et sort d’une grande armoire normande, il est bien dit que le père est un ogre : « Pierre : Mon papa est un ogre » ! […] « Pierre : Mangez ! Mangez tout ! Tous à la casserole, avec ou sans cornes ! » De quoi remplir leurs gidouilles comme le couple Ubu. Ce n’est plus la Dormition ou l’Assomption, mais la Dévoration…

« Les matériaux réunis pour l’écriture de LVVI sont autobiographiques, mythologiques et historiques. La composition du poème dramatique se finalisera sur le plateau » nous avait prévenu Dominique Collignon Maurin dans ses notes de mise en scène. Voilà qui est superbement réalisé en compagnie de Marie Vayssière, Emmanuelle Stochl, Jean-Marie Champagne, Patrick Condé qui apporte un air du théâtre du Radeau auquel on ne peut pas ne pas songer, et avec les musiciens Frédéric Stochl et Seijiro Murayama, tous unis dans une même dynamique de pensée incarnée.

C’est au sens propre un autre théâtre que nous propose Dominique Collignon Maurin, pas celui, Dieu merci, de la consommation courante.

Photo © Frode Bjornstadt