Éternels combats

Jean-Pierre Han

23 novembre 2022

in Critiques

Le Firmament de Lucy Kirkwood. Mise en scène de Chloé Dabert. Spectacle vu au TGP saint-Denis en novembre 2022. Tournée au Parvis, Scène nationale de Tarbes, à la Scène nationale de Bayonne, CDN d’Angers, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, AU CDN de Caen, CDN Drôme-Ardèche, Comédie de Valence.

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Le moins que l’on puisse dire c’est que l’autrice anglaise, Lucy Kirkwood, une jeune quadragénaire que l’on découvre en France cette saison a le chic pour s’emparer de sujets forts en connexion directe avec les problématiques de notre temps. Après Les Enfants, brillamment mis en scène par Éric Vigner tout récemment (voir article du 26/10/22), mêlant sur fond de désastre écologique les désillusions de toute une génération qui avait cru en des lendemains enchanteurs, voici donc Le Firmament qui évoque très directement, encore qu’à travers une fable historique, la question de la condition féminine au cœur de la société d’alors et de maintenant. À lire la biographie de l’autrice ses autres sujets abordés dans d’autres de ses œuvres ne sont pas moins forts et totalement d’actualité.

C’est en toute logique une femme, Chloé Dabert, qui s’est emparée de la pièce de Lucy Kirkwood. En toute logique aussi si on veut bien se rappeler que la metteure en scène est une habituée de la dramaturgie anglaise ; elle a notamment mis en scène quatre pièces de Dennis Kelly (Girls and boys est repris au Théâtre 14 à partir du 6 décembre, avec Bénédicte Cerruti qui mène aussi le « bal » dans Le Firmament). D’une pièce – Girls and boys – qui est un monologue, Chloé Dabert passe donc avec Le Firmament à une œuvre d’une grande ampleur, historique et chorale. Pour un même combat.

L’action se passe dans l’Angleterre rurale du XVIIIe siècle, en 1759 très précisément, ce que ni la scénographie (due à Pierre Nouvel en charge également de la discrète vidéo), ni les beaux costumes signés Marie La Rocca n’éludent, bien au contraire. Espace et temps ainsi situés par Lucy Kirkwood, l’autrice développe sa fable bien parlante, soit l’histoire d’une jeune domestique de 21 ans condamnée à mort pour le meurtre sauvage de la fille d’un Lord. Elle est condamnée à mort, son complice et amant, déjà pendu. Mais elle plaide le fait d’être enceinte ce qui lui vaudrait de voir sa peine commuée en exil à vie. C’est à un jury constitué de douze femmes de conditions différentes d’en décider : ce tribunal populaire sera donc cloîtré avec un huissier à qui il est interdit de parler ou d’intervenir, jusqu’à ce qu’une décision unanime soit trouvée concernant l’état de la jeune Sally.

L’efficacité, Lucy Kirkwood qui est également scénariste à la télévision connaît. Le Firmament est d’une redoutable efficacité d’autant que la pièce joue sur un ressort bien connu, celui que l’on a apprécié avec des pièces comme 12 hommes en colère et plus récemment avec le beau 7 minutes de Stefano Massimi mis en scène par Maëlle Poésy. Suspense porté à son comble dès lors qu’il s’agit de savoir qui va emporter la décision finale, avec pauses nécessaires pour annoncer l’évolution du résultat…

Là où Kirkwood innove, c’est que le jury est entièrement composé de femmes. Aux douze femmes du jury l’autrice ajoute encore quatre personnages (trois hommes et une femme). Chloé Dabert parvient – c’est un exploit – à mener tout ce beau monde avec fermeté et précision, sans trop en faire. Mais forcément à ce jeu émergent quand même de l’ensemble quelques personnalités incarnées par Bénédicte Cerruti, la sage-femme adepte de la raison, et qui a accouché la plupart des femmes ici réunies, Marie-Armelle Deguy, la récalcitrante présidente du jury, ou encore Andréa El Azan dans le rôle de la jeune Sally. C’est forcément prenant alors qu’au dehors (voir la bande-son un peu trop systématique) la foule hurle son appel au sang.

où Lucy Kirkwood innove et fait preuve d’une belle audace, c’est qu’elle ne se contente pas de se focaliser sur le suspense du vote et la galerie de portraits de femmes de toutes conditions aussi intéressantes, encore qu’un peu longue, soient-elles. Comment l’élément mâle (l’huissier) va rageusement piétiner (au sens propre du terme) la décision des femmes… tout sera dit. Chloé Dabert, elle, tient le choc avec sa mise en scène. Son spectacle postule à l’appellation de théâtre populaire avec ses qualités et ses quelques défauts.

Photo © Victor Tonelli