Une "Cerisaie" paradoxale

Jean-Pierre Han

21 novembre 2022

in Critiques

La Cerisaie de Tchekhov. Mise en scène de Daniel Jeanneteau et de Mammar Benranou. T2G Gennevilliers. Jusqu’au 28 novembre, à 20 heures. Tél. : 01 41 32 26 26. theatredegennevilliers.fr

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Autant le dire d’emblée : on reste pour le moins désemparé – pour le dire avec aménité – devant la mise en scène de La Cerisaie de Daniel Jeanneteau et de Mammar Benranou. On a beau nous dire que c’est un travail tout à fait particulier répété au paradis théâtral de Shizuoka (la SPAC-Shizuoka Performing Arts Center) que dirige Satoshi Miyagi que l’on connaît bien désormais en France, cela ne change rien à l’affaire. Pas plus que la distribution qui mêle comédiens français et comédiens japonais, chacun œuvrant dans sa propre langue – ce n’est pas nouveau – et cela se passe sans aucun accroc. Pas plus que le travail commun de Daniel Jeanneteau et de Mammar Benranou. On reconnaîtra d’ailleurs avec plaisir la « patte » du premier nommé avec un plateau épuré (débarrassé de tout l’attirail russe convenu) avec juste un immense écran en fond de plateau sur lequel défile le ciel avec ses nuages et que traversent régulièrement et très rapidement des oiseaux noirs, un ciel qui disparaîtra à la fin de la pièce pour ne laisser qu’un fond blanc. Pour la symbolique c’est clair mais efficace. Plateau quasiment nu donc avec trois chaises et une sorte de structure en fer en lieu et place de la fameuse armoire de « la chambre des enfants » comme il est dit dans la didascalie de l’auteur. Pas de porte ni de fenêtre non plus, mais des voiles de chaque côté de la scène, on ne saurait mieux faire dans le côté épuré qui est la marque de fabrique de Daniel Jeanneteau, et qui, concernant cette pièce correspond aux vœux de l’auteur : « j’ai réduit la partie décors de la pièce au minimum, il n’y aura besoin d’aucun décor particulier, pas la peine d’aller chercher midi à quatorze heures ». Place nette donc pour le jeu et la distribution qui mêle français et japonais. Et c’est malheureusement là où le bât blesse, ne serait-ce que parce qu’une coupure radicale apparaît entre les deux distributions. Étonnant quand on sait que c’est la quatrième fois que Daniel Jeanneteau travaille chez Satoshi Miyagi… Étonnant parce que les acteurs français et japonais ne semblent pas jouer dans le même registre, avec d’un côté l’interprétation occidentale atone – avec un Lopakhine (Philippe Smith), l’un des rôles principaux de la pièce avec Lioubov, quasiment dépressif, honteux et presque coupable d’avoir racheté la cerisaie –, laissant ce qui est véritablement de l’ordre du jeu (et du surjeu) aux comédiens japonais parmi lesquels seule Haruyo Hayama (Lioubov) est dans la belle justesse des choses. Que dire enfin de l’attribution du rôle essentiel de Firs, « la mémoire de la Cerisaie et le moteur, en quelque sorte, de la représentation » comme l’affirme Mammar Benranou, à une femme, pourtant excellente comédienne par ailleurs, Stéphanie Béghain, particulièrement mal à l’aise et on le comprend aisément. Un étrange et très peu évident moteur de la représentation…

Photo © Jean-Louis Fernandez