Qui sont les monstres ?

Jean-Pierre Han

16 octobre 2022

in Critiques

BasiK inseKte, d’après Kafka. Mise en scène de Claire Dancoisne. Théâtre Mouffetard (Centre national de la marionnette). Jusqu’au 20 octobre à 20 heures. Puis tournée à Dunkerque, Calais et Trappes. Tél. : 01 84 79 44 44

BasiK InseKt… au moins Claire Danscoine nous met-elle non sans un certain humour, sur la piste de son propos. Impossible d’y échapper, nous aurons tous compris qu’il sera question du grand K, Kafka deux fois nommé donc, en lettre colorée quand c’est possible, l’insecte nous renvoyant immédiatement et en premier lieu à Grégor Samsa métamorphosé un beau matin à son réveil en blatte. Les mauvais esprits dont nous sommes ne manqueront pas non plus d’évoquer le titre du film très chaud et qui fit donc scandale, Basic instinct. La chaleur, chez Claire Dancoisne, elle, n’est pas de même nature même si le spectacle prétend aussi évoluer dans le registre du thriller. D’ailleurs annonce en est faite dans la feuille de salle : « Thriller autour d’un monstre kafkaïen ».

008 - Christophe Loiseau

Une adaptation de plus – il y en eut un certain nombre au théâtre – de la Métamorphose de Kafka ? Pas vraiment car celle-ci est vraiment particulière. Pas seulement parce qu’elle se développe sous le signe du thriller. La réécriture de la nouvelle est signée par la metteure en scène avec Francis Peduzzi, qui n’en est pas à sa première collaboration avec elle. Avec introduction de dialogues signés Haïla Hessou. Kafka décrivait par le menu la « métamorphose » de Gregor Samsa. L’équipe de la Licorne élargit le spectre de sa description de l’affaire. Un vrai travail d’entomologiste cette fois-ci qui met aussi l’accent sur l’environnement de Samsa, et notamment sur la prédominance néfaste des membres de sa famille dans leurs rapports/non rapports avec le public considéré comme témoin de la monstruosité déclenchée par Gregor. Dans cette histoire qui sont les monstres ?

Le public est donc là prié de considérer les enjeux cachés de la métamorphose. Et pour ce faire c’est une sorte de castelet à trois niveaux qui lui est présenté, et d’où vont sortir les personnages (un quatuor de comédiens-manipulateurs, Henri Botte, Lyly Chartiez-Mignauw, Gaëlle Fraysse et Léo Smith dont il faut vraiment saluer le travail) n’ont plus qu’à agir. Et là, bien sûr, on retrouve avec bonheur l’univers si singulier – mélange de noirceur fantastique, avec un humour et une méchanceté de la même encre, rires se transformant en rictus, et autres infinies inventions… – de Claire Dancoisne. Tout, à tous les postes, concourt très minutieusement à cette réussite, de la scénographie aux décors (Olivier Sion), aux créations, musicale (Pierre Vasseur et Greg Bruchet), de masques, réalistes cette fois-ci (Loïc Nebreda), de costumes (Martha Romero et Anne Bothuon), d’objets (Bertrand Boulanger, David Castagnet, Chicken et Olivier Sion), de lumière (Hervé Gary). Un authentique travail d’équipe qui laisse une impression âcre et forte qui renvoie bien, après tous ces superbes détours, à l’univers de Kafka. Finalement, et dans son prolongement.

Photo : © Christophe Loiseau