Un air d'éternité ?

Jean-Pierre Han

14 octobre 2022

in Critiques

Music-Hall de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Marcial di Fonzo Bo. Théâtre du Petit Saint-Martin, jusqu’au 25 novembre, en alternance avec Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne, à 19 heures ou 21 heures selon les jours. Tél. : 01 42 08 00 32.

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Music-Hall de Jean-Luc Lagarce fait partie de ces quelques pièces que l’on connaît presque par cœur et que l’on continue d’aller voir pour jauger la qualité de ses interprètes, pour entendre et voir leurs variations personnelles sur le sujet… C’est vraiment le cas ici puisque l’affiche nous annonce tout simplement que c’est Catherine Hiegel qui interprète le rôle de la « Fille » accompagnée d’un duo de tout premier ordre dans sa singularité aussi bien physique que mentale, le grand et le petit, Pascal Ternisien et Raoul Fernandez, premier et deuxième « Boy ». Connaissant le talent des trois comédiens, on est immédiatement preneur, d’autant que la même Catherine Hiégel a récemment triomphé dans Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne mises en scène par Martial di Fonzo Bo déjà. Une pièce écrite six ans après Music-Hall, en 1994, un an avant le décès de l’auteur.

Très sobrement le texte de Jean-Luc Lagarce ne possède qu’une seule indication scénique placée tout au début : « Il y a toujours un lieu comme ça, dans ce genre de ville, qui croit pouvoir servir de Music-Hall : c’est dans ce lieu que cela se passe ». On ne saurait être plus sobre et plus… explicite aussi ! Ce genre de lieu, en pleine tournée, bien évidemment Jean-Luc Lagarce l’a connu, l’a vécu, lui qui parcourait les routes avec son Théâtre de la Roulotte en compagnie de deux piliers de sa petite troupe, Mireille Herbstmeyer et François Berreur. Cette vie de tournée, de petite ville en petite ville Jean-Luc Lagarce y reviendra souvent dans son œuvre, dans Nous les héros par exemple. Une petite vie de famille (la famille, pas seulement théâtrale, est un des grands thèmes de son œuvre). Nostalgie de ces lieux doux-amers pour qui les a fréquentés… c’est ce que raconte ce Music-Hall, refrain de l’obsédante ritournelle de Joséphine Baker, « Ne me dis pas que tu m’adores/embrasse-moi de temps en temps…/mais pense à moi de temps en temps… », bien en tête, histoire d’aviver la nostalgie : on parle toujours au passé dans cette pièce. On évoque le passé…

Visage blafard, surmaquillée avec quelques paillettes scintillantes pour cacher les ravages du temps, Catherine Hiegel maintien pour ainsi dire la barre, donne le change sans illusion, et même avec un brin d’ironie, poursuit le voyage accompagné par ses deux acolytes « goguenards », ludions qui tournicotent autour d’elle. Ballet ritualisé (avec un fameux tabouret comme immortel accessoire)…, ce que réalise la comédienne avec une rigueur (et une force qu’elle a toujours eue, même s’il s’agit d’évoquer le passage du temps) est prodigieux et rend subtilement hommage à l’écriture de Jean-Luc Lagarce avec Marcial di Fonzo Bo comme intercesseur.

Photo : © Jean-Louis Fernandez