Des Francophonies internationales de Limoges aux « Zébrures d’automne »

Jean-Pierre Han

13 octobre 2022

in Critiques

Le festival s’est déroulé du 21 septembre au 1er octobre

L’amour telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr sera donné au théâtre de la Tempête à partir du 11 novembre prochain. Tél. : 01 43 28 36 36.

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Les « Zébrures d’automne » telles qu’en elles-mêmes depuis toujours, et toujours dans le même esprit si on veut bien considérer qu’elles sont l’exacte poursuite des « Francophonies internationales » créées par Pierre Debauche et Monique Blin en 1984. Depuis cette date le festival a connu, au plan de son appellation, quelques modulations, jusqu’à devenir, avec son nouveau directeur, Hassane Kassi Kouyaté nommé en 2019, ces fameuse Zébrures d’automne. Précision de saison nécessaire puisqu’Hassane Kassi Kouyaté a imaginé des Zébrures de printemps entièrement dédiées aux écritures, et qui sont la poursuite largement développée du travail de la Maison des auteurs créée par Monique Blin lors de sa longue mandature de seize ans. Pour être totalement transparentes les Zébrures se sont aussi dotées d’un sous-titre : Les Francophonies : des écritures à la scène…Voilà qui a le mérite d’être clair, et que l’on retrouve avec bonheur dans son application.

Reste qu’avec toutes ces évolutions, c’est bien l’esprit du festival qui demeure malgré tous les tracas et les difficultés pour trouver, sur Limoges, son véritable centre. Un centre névralgique où, ces deux dernières années, bureaux, restaurants, chapiteau… tout était enfin regroupé à la Caserne Marceau appartenant à la municipalité, mais d’où il a dernièrement fallu déménager. Ce n’est là, malheureusement, qu’un épisode parmi quelques autres que le festival a connu tout au long de son existence, mais on est bien loin des lieux emblématiques autorisés lors des premières années des « Francophonies » comme on continue à les appeler… L’affaire est plutôt délicate, quasiment une quadrature du cercle qu’Hassane Kassi Kouyaté a fini par résoudre avec l’aide de l’Opéra de Limoges, de l’espace Noriac, et l’implantation de petits chapiteaux sur la place de la République, pour le coup en plein centre de la ville. Un centre quelque peu « éclaté » avec ces différents lieux, mais qu’importe l’esprit y est.

Hommage justement rendu à Monique Blin qui a disparu en janvier dernier, le festival a pu dérouler sa programmation aux mille animations, mille « archipels en partage », pour reprendre les mots d’Hassane Kouyaté, mais néanmoins avec une forte coloration haïtienne cette année comme en atteste la manifestation « Haïti mon amour » regroupant film, concert et table ronde à l’Opéra. Et, le hasard faisant toujours bien les choses, le grand prix RFI a été attribué à Port-au-Prince et sa douce nuit de Gaëlle Bien-Aimée qui succédait ainsi à son compatriote Jean d’Amérique, le lauréat de l’an dernier. Mais à vrai dire c’est surtout avec le spectacle de Guy Régis Jr, L’amour telle une cathédrale ensevelie, que l’on attendait lapogée de ce cheminement haïtien. D’autant que le spectacle clôturait pour ainsi dire le festival juste avant Moi, chien créole du martiniquais Bernard Lagier mis en scène par le guadeloupéen Dominik Bernard et interprété avec une belle dextérité par Ndy Thomas.

Un opéra-théâtre sur les migrants

Par l’ampleur et l’ambition de son propos et de sa réalisation, L’amour telle une cathédrale ensevelie donné sur le plateau du théâtre de l’Union aura bien été l’un des points culminant des Zébrures. Et encore cette pièce n’est que le deuxième volet d’une trilogie, celle des « Dépeuplés » que Guy Régis Jr a composée et qui se veut la « radiographie de ces familles haïtiennes qui ne jurent que par le départ du pays pour des destinations multiples »… Un projet d’une vaste amplitude à l’échelle du monde entier qui a débuté avec la « disparition » (le « dépeuplement » comme le qualifie l’auteur) du Père, avant que ne se développe le deuxième épisode consacré au Fils parti à son tour sur une embarcation de fortune pour rejoindre la Mère au Canada pour laquelle il a trouvé un mari (le Retraité Mari) trouvé sur Internet. Le dernier volet de la trilogie qui se décline ainsi, Père, Fils, Mère, tourne donc autour de la figure de la mère de retour dans son pays.

On peut toujours rêver et imaginer la présentation de la trilogie dans un futur proche… aux Zébrures ?

Tragédie de l’exil en trois volets (comme les tragédies antiques), l’ambition de Guy Régis Jr est à la hauteur du sujet. Dans le deuxième volet donc elle ne se développe pas cependant de manière linéaire, mais en éclats, dans un mélange des genres, avec notamment une partie musicale confiée au compositeur Amos Coulanges avec un chœur lyrique « inspiré de chants et rythmes caribéens et sacrés » traduits du créole haïtien par Guy Régis Jr lui-même. C’est incontestablement la partie la plus réussie du spectacle, en formidable contrepoint des séquences concernant les scènes de couple entre la mère et le Retraité Mari, dans le quotidien de leur relation conflictuelle, couple saisi par le naufrage et la mort du fils venu les rejoindre. Passage de l’intime à l’universel dans un environnement dont l’obsédante dominante, celle de l’eau sous toutes ses formes, celle de la mer et de son ressac ou de la pluie (qui vient violemment battre contre les vitres), plonge le spectateur dans une sorte de sombre hébétude alors qu’en surface se joue le drame des migrants… C’est bouleversant. Guy Régis Jr a lui-même tourné les images avec Fatoumata Bathily en y ajoutant des extraits du film de Gianfranco Rosi, Fuocoammare (par-delà Lampedusa). La magnifique langue de Guy Régis Jr s’élevant dans un chant désespéré que le metteur en scène a parfois du mal à transcrire scéniquement.

On ne saurait quitter les Zébrures de cette année sans évoquer ce qui est un véritable coup de cœur, une « petite forme » d’une heure – le festival semble se diriger vers la présentation de ce type de formats et on ne peut que s’en réjouir –, celle proposée par la réunionnaise Nelly Cazal, Vavangaz Ti Katorz. Accompagnée par deux musiciens, Serge Ferrero et Jérôme Cury, elle nous embarque avec une superbe énergie dans le portrait imaginaire, rêvé, d’une femme, Ti Katorz, une légende de l’île de la Réunion. Donné en créole, il n’est point besoin de connaître la langue, pour être saisi, la voix et le corps de Nelly Cazal nous disent tout de superbe manière.

Photo : © Christophe Péan