Spectacle sous haute tension

Jean-Pierre Han

20 septembre 2022

in Critiques

Tropique de la violence de Nathacha Appanah. Adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff. Théâtre 13, jusqu’au 30 septembre à 20 heures (samedi à 18 heures). Tél. : 01 45 88 62 22. www.theatre13.com

Il y a un véritable phénomène Nathacha Appanah avec son formidable Tropique de la violence (ses cinq autres romans sont tout aussi forts !) : le livre est bardé de prix littéraires, il a été transcrit en bande dessinée, puis porté à l’écran, et il est désormais adapté au théâtre par la grâce d’Alexandre Zeff. La violence décrite par l’autrice mauricienne à la suite d’une résidence entre 2008 et 2010 à Mayotte puis d’un retour sur l’île quatre ans plus tard, est bien sûr à l’exact opposé de l’imagerie que l’on peut se faire à l’évocation de ce lieu « paradisiaque » Finis les clichés genre carte postale, la réalité est tout autre. Une réalité perçue à travers le bidonville de Gaza (qui existe vraiment sous ce nom), à travers le personnage du jeune Moïse, un nourrisson, saisi (sur écran) dans les bras de sa mère alors que, comme des milliers de migrants, ils arrivent à bord d’une petite barque (kwassa). Très vite abandonné il est adopté par une infirmière venue de la métropole mais la femme va brusquement mourir laissant l’enfant, un adolescent de quinze ans désormais, seul au cœur d’un monde de violence, celui du bidonville, où il tombera sous la coupe du chef de gang autoproclamé, Bruce. Voilà pour le point de départ du dispositif qui ressemble à s’y méprendre à un thriller de la meilleur eau. C’est une plongée dans un univers noir d’où personne ne ressortira indemne. Pas plus les personnages que les spectateurs pris à gorge, car dans le travail au couteau d’Alexandre Zeff, et avec l’aide de ses cinq comédiens, Alexis Tieno (Moïse), Mexianu Medenou (Bruce), accompagnés de Thomas Durand et de Assane Timbo – un flic et un humanitaire ! –, et Mia Delmaë pour la touche poétique et le chant alors que la percussionniste Yuko Oshima (en alternance avec Blanche Lafuente) ponctue le parcours, pas une lueur, pas un souffle d’air ne transpirent. Dans un rythme d’enfer, nous sommes à notre tour violentés, Alexandre Zeff ne nous lâche pas et ne manque pas d’avoir recours à toutes les disciplines artistiques, musique, percussions, chant, vidéo, à sa disposition pour parvenir à ses fins.

La question était de savoir comment rendre compte de la violence du livre de Nathacha Appanah sans la trahir, alors qu'en contreepoint c'est la réalité de l'île de Mayotte dont il est question) et à tout le moins de la porter en son point culminant. On peut imaginer d’autres options que celle, radicale, choisie par Alexandre Zeff, celle-ci a cependant le mérite d’être cohérente et de rendre justice à la beauté de la langue de Nathacha Appanah, même si on sort de là exténués.