AVIGNON OFF : Une partie toujours recommencée

Jean-Pierre Han

27 juillet 2022

in Critiques

Fin de partie de Samuel Beckett. Festival d’Avignon off au Théâtre des Halles, jusqu'au 28 juillet à 16 heures. Le spectacle sera repris au théâtre de l’Atelier à Paris en janvier 2023.

Samuel Beckett a eu tort : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » dit-il quasiment dès l’entame de Fin de partie. Et bien non, Jacques Osinski avec son quatuor de comédiens, Denis Lavant, Frédéric Leidgens, Peter Bonke et Claudine Delvaux, vient au contraire de faire la démonstration que ce n’est pas fini et que tout recommence ; l’auteur est plus vivant que jamais, comme il l’a rarement été. Jacques Osinski ressuscite Beckett. Pas une mince affaire, ni une simple conjonction des astres. Mais une affaire préparée de longue date. D’abord parce que le duo Osinski-Lavant sévit depuis de très longues années, depuis une adaptation de La Faim de Knut Hamsun en 1995 et qui reste présente dans nos mémoires. Et puis toujours à deux et plus aujourd’hui les voici sur la trace de Beckett justement avec Cap au pire, à Avignon déjà en 2017, un texte pas vraiment destiné à la scène – un premier combat avec la matière textuelle de l’auteur –, puis la Dernière bande et L’Image. Entre-temps Osinski, sans Denis Lavant cette fois-ci aura réalisé une expérience musicale avec Words and music, toujours sur un texte de Samuel Beckett. Autant dire que lui et Denis Lavant étaient plutôt bien préparés pour aborder cette presque classique Fin de partie.

Le résultat est là qui apporte l’irréfutable preuve que Beckett n’est pas mort, d’autant que Jacques Osinski lui injecte un sang nouveau avec un comédien hors-pair et qui, de spectacle en spectacle, fait la discrète et pourtant éblouissante démonstration de son intelligence de jeu (le dernier en date il y a peu cette année dans L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer, mis en scène par Thibaud Croisy). Le complice antinomique de Denis Lavant avec lequel il forme un extraordinaire duo : les deux comédiens (Clov et Hamm inséparables à jamais) dévident à eux deux avec quelques inserts des parents, désarticulant presque le texte syllabe après syllabe, silence après silence, toute la très subtile et laconique gamme beckettienne, ne ratant pas un mot, pas une virgule, dans le plus strict respect du texte jusque dans son souffle et sa rythmique. Jacques Osinski qui connaît désormais bien la musique, prend son temps, fait respecter silences et déplacements : une mécanique bien remontée qui répond en tout point aux indications de l’auteur...

Créée en France il y a 65 ans, la pièce n’a pas pris une ride et renvoie même à des préoccupations d’aujourd’hui dans notre relation au monde en perdition. Le public ne s'y trompe pas qui fait un triomphe à ce spectacle.