AVIGNON IN : Entre lard et cochon

Jean-Pierre Han

23 juillet 2022

in Critiques

Là où je croyais être il n’y avait personne de et avec Anaïs Müller et Bertrand Poncet. Festival d’Avignon in. Au Gymnase du lycée Saint-Joseph, jusqu’au 25 juillet à 15 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Pour qui n’aurait pas suivi la trajectoire jusqu’ici apparemment bienheureuse d’Anaïs Müller et de Bertrand Poncet, co-responsables de la compagnie Shindô, ni découvert leur premier spectacle présenté lors d’une précédente édition du Festival, tomber sur leur dernière production au titre en forme d’invitation, Là où je croyais être il n’y avait personne, ne pourra que laisser dans la plus grande des perplexités que les premières minutes de leur opus ne fera qu’accroître. De quoi est-il en effet question ? Est-ce du lard ou du cochon ? Se fichent-ils complètement de nous ou sont-ils d’invétérés intellectuels engagés dans de tortueuses et savantes circonvolutions ? C’est quoi ces deux originaux jetés dans un décor de salon bourgeois (scénographie de Charles Chauvet) que la découpe d’un arbre rachitique nous renvoie à Godot… ? Et puis qu’est-ce que ces deux personnages d’une innocence suspecte, avec leurs costumes tyroliens en carton-pâte ? Intrigué et déjà mal à l’aise on consulte vite fait la feuille de salle qui indique que Là où je croyais être il n’y avait personne est le deuxième volet d’un opus intitulé Les Traités de la perdition et que le premier acte s’appelait Un jour j’ai rêvé de toi, ce qui ne nous avance guère dans l’élucidation de notre perplexité. Pas plus que le fait de savoir que ce sont des enfants du Festival Impatience, le bien nommé, et dont ils ont raflé maints prix. En bref le succès est là et les qualificatifs les concernant fluctuent entre la béate admiration et l’affirmation d’une trajectoire rectiligne vers le succès. Avec à la clé création d’un duo sans aucun doute inénarrable et promis à la célébrité : Ange et Bert.

Les événements se poursuivent sur la plateau et l’on oscille entre le loufoque, le déjanté comme il est dit, mais toujours cassé : ça ne va pas bien volontairement jusqu’au bout de la loufoquerie ou du déjanté. Pour un peu il y aurait de la douceur. Un premier indice nous stipule quand même que ce ne sont pas n’importe qui : la preuve ils veulent s’attaquer à L’Homme sans qualité de Musil que tout le monde ne connaît pas forcément. Eux-mêmes en sont conscients et (oh la frustration !), décident de bifurquer sur du plus grand public (enfin au moins plus de gens connaissent son nom sans forcément l’avoir lue et puis elle a quand même eu le prix Goncourt (!), et présente aussi l’avantage de nourrir et satisfaire également les intellos : direction Marguerite Duras donc. Et voilà le duo dans son élément pour réaliser ses mille et une facéties. Toujours entre lard et cochon. Pour la profondeur de la chose et sa signification il faudra attendre et réfléchir à tête reposée. En attendant on aura bien ri, souri, embêté (mais c'est la loi du genre avec ses temps forts et ses temps moins forts) un peu énervé, tout ça à la fois. Avant que le couple ne disparaisse laissant la place à des images d’eux-mêmes sur une plage, la mer en train de monter au pied. Des images quand même un peu convenues.