AVIGNON OFF : Joyeux jeu de massacre

Jean-Pierre Han

22 juillet 2022

in Critiques

Surprise parti de Faustine Noguès. Mise en scène de l’autrice. Avignon off. Théâtre du Train bleu à 12 heures. Tél. : 04 90 82 39 06.

Il ne fait guère de doute que la présente édition du festival d’Avignon sera à marquer d’une pierre blanche dans le parcours de Faustine Noguès. Que l’on en juge : deux de ses pièces sont à l’affiche, alors que deux autres ont fait l’objet de lectures, ce qui est un ratio plutôt intéressant pour une jeune femme qui a écrit six pièces de théâtre en un laps de temps relativement court puisque la première d’entre elles, Surprise parti, date de 2018. C’est justement cette œuvre qu’elle a elle-même mise en scène. Car désormais et après avoir été l’assistante de David Lescot, Laurent Vacher ou Paul Desveaux, entre autres, elle vole de ses propres ailes. Ce n’est pas tout, le plus intéressant est de constater le grand succès de ce travail qui a tout particulièrement séduit les jeunes générations. Le sujet y est sans doute pour beaucoup : Faustine Noguès s’est en effet inspirée de faits réels qui se sont déroulés en Islande, à savoir l’élection à la mairie de la capitale Rejkavik d’un humoriste, punk, inventeur d’un « anarcho-surréaliste » Meilleur Parti, l’appellation et sa définition sont déjà en eux-mêmes tout un programme. À partir de cette donnée de base (qui a existé : un certain Jon Gnarr conquit bien la mairie de Rejkavik en 2010…) qui lui ouvrait les portes de l’absurde, de la bouffonnerie liée à la raillerie (on ne peut plus réaliste, elle ?) ; on devine aisément ce qui a pu séduire des jeunes et moins jeunes spectateurs gavés de sérieux compassé, belles enveloppes de mensonges, de promesses de jours meilleurs, etc. (et on en passe), assénées de manière quotidienne dans la presse et à la télévsion. Coup de pied aussi joyeux que salutaire dans cette lugubre fourmilière… on pense bien sûr au mouvement situationniste des années 1960 à 1970… Nous y revoilà donc et peut-être que la jeunesse d’aujourd’hui lorgne vers lui sans le savoir. Faustine Noguès, elle, connaît la chanson et s’en empare avec doigté et force. Sa fable en témoigne qui propulse son humoriste dans le monde des marionnettes politiques. Et de nous proposer des échos (de débats télévisés caricaturés) de la campagne électorale, puis des scènes de l’exercice plutôt farfelu du pouvoir alors que la ville est en pleine crise économique.

Faustine Noguès et ses six interprètes mènent tout cela à un train d’enfer dans un perpétuel et très percutant affrontement entre les tenants de « l’ancien régime » (le traditionnel) et les « anarcho-punk », deux mouvements de trois unités, deux équipes, si on veut parler sport, entre réel et fiction. Et avec comme chef d’orchestre un Damien Sobieraff intenable. À ce stade (c’était la première pièce de l’auteur) Faustine Noguès fait déjà preuve d’un authentique savoir-faire et d’une écriture au couteau dont elle aiguisera la lame dans son Angela Davis, une histoire des États-Unis, mis en scène cette fois-ci par Paul Desveaux et porté par Astrid Bayiha. Une proposition directement politique, dans le meilleur sens du terme, où l’autrice démontre une réelle maîtrise d’écriture jusque dans sa rythmique, ce qui augure le meilleur, car il semble bien que la metteure en scène suive désormais parfaitement les traces de l’autrice.