AVIGNON IN : Rapide recension…

Jean-Pierre Han

19 juillet 2022

in Critiques

… avant oubli volontaire ou non

1. Ceux que l'on ne souhaite pas oublier

Sans Tambour de Samuel Achache. Parce que, mine de rien, et alors que la thématique choisie et annoncée est celle de l’effondrement, des sentiments au monde, et donc de l’éclatement de toute cohérence, Samuel Achache et sa bande d’interprètes (ce sont ici quasiment tous des fidèles que l’on retrouve de spectacle en spectacle) nous offrent une œuvre d’une rare subtilité dna sle tissage qu’elle opère entre toutes les thématiques et les séquences choisies. Un sacré paradoxe que ce savant tricotage entre les différents motifs mis joyeusement à bas entre art musical et art dramatique. Avec effectivement effondrement palpable et visible – une maison dépecée sous les coups du couple censé y habiter, un couple en train de se désintégrer –. Et alors que musiciens et soprano vont venir y mettre du leur, démembrant à leur tour des lieder de Robert Schumann, et les recomposant dans le même élan pour nous re-servir… autrement. C’est beau et désespérant. C’est surtout dans les meilleurs moments parfaitement hilarant. Il faut citer tous ces olibrius, Lionel Dray et Sarah Le Picard côté dramatique, Gulrim Choï, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert à la direction musicale, Sébastien Innocent, Léo-Antonin Lutinier, la soprano Agathe Peyrat et Eve Risser. Ce joyeux groupe de démolisseurs, maîtres dans l’art de passer d’un registre (pas seulement musical) à l’autre sont en train d’inventer un nouvel art… à la fois savant et populaire dans sa facture burlesque.

Les mondes parallèles de Simon Falguières : Le Nid de cendres

Reprise ici de la critique parue en mai 2021 après visionnage du spectacle au Théâtre de la Tempête

1. Les parallèles, c’est bien connu, ne se rejoignent jamais. Les deux moitiés de monde qu’explorent Simon Falguières et ses camarades pourront-elles vraiment, grâce à la magie du théâtre, s’accoler un jour ? Début de réponse au bout de six heures scindées en quatre épisodes d’explorations en tous genres et de pérégrinations tous azimuts… L’odyssée a pour titre Nid de cendres et est un véritable bonheur théâtral. On ne sera pas étonné outre mesure de savoir que l’initiateur du projet conçu pour et avec une bande d’amis, Simon Falguières donc, a toujours vécu dans un authentique et bouillonnant bain théâtral. Son père, Jacques, est metteur en scène et a longtemps dirigé le théâtre d’Évreux qui a fini par obtenir le label de Scène nationale ; il n’a pas hésité a lancé ses deux fils, Simon (il a alors 6 ans !) et son frère, sur un plateau de théâtre. De son côté, la mère, une enseignante, lui a ouvert les portes des contes (entre autres). Le résultat c’est que le jeune Simon, fasciné par la machinerie théâtrale, n’a cessé de lire, d’écrire et de dessiner tout au long de sa jeune existence. Dès l’âge de 14 ans il écrit une première pièce. Il en a aujourd’hui un peu plus du double, un laps de temps pendant lequel il a composé bien d’autres textes qu’il a montés avec des amateurs ou avec sa troupe du K (une référence à Buzzati et à Kafka ?). Ces dernières années, l’été venu, avec ses camarades presque tous rencontrés au Cours Florent, « une famille de jeunes comédiens talentueux » comme il aime à le souligner, ils se sont retrouvés et ont travaillé à partir d’un texte écrit pour eux. Ainsi est né Nid de cendres, sa première « grande » œuvre qui a pu voir le jour début 2019 au CDN du Théâtre du Nord. L’élan était donné. La comète Simon Falguières se retrouvait fin 2020 au Théâtre national de la Colline avec deux autres productions, Poucet, un spectacle tous publics, et surtout Les Étoiles qui confirmait la maîtrise et le talent de l’auteur, metteur en scène et interprète (car Simon Falguières accompagne toujours ses camarades sur le plateau, même de manière discrète). Nul doute que les mois à venir devaient être siens au cœur du monde théâtral avec des représentations annoncées un peu partout. Il n’en fut rien, on sait pourquoi.

Retour donc à la case départ ? Nid de cendres, retravaillé, réajusté, peaufiné durant les mois de confinement, réapparaissent plus énergiques que jamais. C’est donc reparti pour Simon Falguières et ses camarades. Et pour les spectateurs, plongés six heures durant, souffle retenu, dans l’histoire, les histoires que brassent allègrement et avec un appétit de vie et une joie féroce les dix-sept comédiens (pas moins !). Épopée (ainsi qualifiée par l’auteur), saga, c’est tout cela à la fois, c’est aussi et surtout l’histoire du théâtre, dans toutes ses formes (Odyssée à tiroirs, mélodrame, drame symboliste… est-il précisé) dans tous ses atours que revisite Simon Falguières. Tout y passe Homère, Sophocle, Shakespeare, qui apparaîtront même sur scène (et dans quel état !) ; on décèle les influences ou les clins d’yeux à Maeterlinck, Claudel, d’autres encore. La feuille de salle cite L’Ecclésiaste et L’Énéide de Virgile… On rencontre encore Dionysos et même Zeus, il y a aussi une sorte de Mephisto, un certain Badile (anagramme de diable) joué de manière ludique – un vrai plaisir – par Mathias Zakhar, ou encore le personnage du Président travesti en voyante et à qui Charly Fournier donne toute sa truculence. Liste de personnages non close, chaque comédien interprétant plusieurs rôles…

L’appétit théâtral de Simon Falguières est infini, et c’est bien là que nous l’apprécions, dans ses excès et jusque dans ses défauts, on accepte tout, d’autant qu’il n’a recours à aucun effet à la mode (vidéo, etc.) ou à de fausses provocations. Espaces et temps entremêlés, nous sommes embarqués dans ce long voyage pour dire le monde d’aujourd’hui, celui d’un Occident en flammes, et l’autre monde, celui des contes avec roi, reine et princesse. Fuir un monde en train de s’écrouler, c’est ce que font les parents d’un nourrisson, Gabriel ; parcourir un autre univers, braquer ses regards vers un autre horizon, même dans la pire des errances, comme le fait cette troupe de théâtre qui fait penser au film de Théo Angelopoulos et qui traverse toute l’épopée, ou comme le fait la princesse Anne partie chercher l’homme qui pourra sauver son royaume… Tout cela se passe dans la boîte à jouer imaginée par le scénographe Emmanuel Clolus. Avec une belle simplicité, « quatre planches et pas grand-chose » en somme pour déployer tout le savoir-faire de l’équipe de jeunes gens (ils sont tous de la génération de leur metteur en scène, hormis John Arnold qui, en vieux roi de conte mène la barque et sert pour ainsi dire de guide théâtral bienveillant à ses jeunes camarades de plateau). Cela n’empêche en rien l’extrême rigueur de l’ensemble, avec une direction d’acteurs impeccable, alors que la simple lecture du texte dénote déjà une réelle maturité, un savoir-faire réjouissant de son auteur.

2. Version de juillet 2022 à la Fabrica d’Avignon. Une année plus tard après la série de représentations au Théâtre de la Tempête à Paris, le spectacle est passé de six à treize heures (moins si on décompte les temps de pause ; du coup d’ailleurs le temps ne se déploie plus de la même manière et interfère sur la réception de la fable) ! Soyons clairs : il ne s’agit pas d’une sorte de reprise « augmentée », mais d’une authentique refondation de l’ensemble avec la même équipe bien sûr. Rien d’étonnant si on veut bien rappeler que cela fait des années que Simon Falguières travaille avec ses camarades sur le sujet, proposant maintes et maintes moutures. On constatera un réel approfondissement de l’ensemble dans l’apparent enchevêtrement des différentes lignes dramatiques, et du même coup – c’est ce qui frappe d’emblée – le constat de la parfaite maîtrise de l’acte théâtral par Simon Falguières qui autorise et suscite le plaisir du jeu, jusqu’à épuisement. À l’évidence le metteur scène (auteur et acteur tout à la foi) connaît et maîtrise sa grammaire, et d’œuvrer dans le développement scénographique de l’expérimenté Emmanuel Clolus n’aura pu que l’y aider. C’est l’incontestable et très mérité succès de ce festival.

…/…  à suivre