AVIGNON IN : Du lait tourné

Jean-Pierre Han

14 juillet 2022

in Critiques

Milk de Bashar Murkus. Festival d’Avignon, à l’Autre Scène du Grand Avignon-Vedène, jusqu’au 16 juillet à 15 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Mais qu’arrive-t-il donc en cours de spectacle au metteur en scène palestinien Bashar Murkus que le Festival connaît pour avoir pu voir son Musée l’année dernière ? Sa réalisation d’aujourd’hui sans paroles (mais loin d’être muette, bien au contraire) débute de la meilleure des manières, avec la présentation sur scène, face au public, de cinq femmes portant chacune un mannequin en bois désarticulé. Léger tremblement qui ira s’accentuant jusqu’à ce qu’elles laissent tomber ce qui leur était si cher. De séquence en séquence les images sont belles et frappantes. Cinq femmes, cinq mères : ce sont des mères dont il sera ici uniquement question. Le spectacle se développe à chaque fois dans des dispositifs scénographiques originaux : ils ne manquent ni de force ni d’inventivité, et nul besoin d’expliciter les choses, elles parlent d’elles-même : on est saisi. Si la fable prétend et tend à l’universalité la marque proche orientale appose son empreinte sur l’ensemble du travail, nous renvoyant d’ailleurs à d’autres productions de cette partie du monde, comme celle de l’irakien Anas Abdul Samad par exemple… Tout de passe donc pour le mieux alors que l’espace a subi ses premières métamorphoses et que bientôt l’on va assister à l’accouchement d’une sixième femme : les choses, à ce stade, commencent à mal tourner. Au son d’une musique tonitruante que même les meilleures productions cinématographiques grand public n’oseraient utiliser, les choses se gâtent crescendo, jusqu’à quelques « clous » de spectacle, comme ces épisodes avec un interminable cordon ombilical entravant les évolutions du garçon, car c’est bien sûr un garçon qui est né, cherchant à s’éloigner de sa mère, jusqu’à surtout cette image savamment composée de la Pieta avec l’enfant-Christ sur les genoux, sang bien rouge s’écoulant du corps, en contraste avec le blanc des ruissellements de lait finissant par former un bel espace nautique dans lequel le garçon va s’ébattre passant d’une mère à l’autre puisqu’il est le représentant de tous les enfants disparus. Pour les symboles, nous les avons. On se demande alors si ce déferlement est spécialement destiné à nous autres occidentaux qui serions en demande d’un tel insupportable pathos. La touche finale nous faisant regretter la subtilité du théâtre proche oriental lorsqu’il n’est pas destiné aux occidentaux justement. Le spectacle a néanmoins été créé au Khashabi à Haïfa, nous dit-on…