Avignon in : Éblouissant et vain

Jean-Pierre Han

10 juillet 2022

in Critiques

Le Moine noir de Kirill Serebrennikov. Cour d’honneur du palais des papes. Jusqu’au 15 juillet à 22 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Le spectacle de Kirill Serebrennikov a été créé à Hambourg en début d’année, mais on se dit que le metteur en scène, un habitué d’Avignon, devait bien évidemment déjà songer à la Cour d’honneur du palais des papes. Il a d’ailleurs retravaillé la scénographie, qu’il signe, en fonction du célèbre lieu (on aurait aimé qu’il s’attarde davantage sur le contenu même de son spectacle !). Mais c’est une habitude, les invités du Palais des papes songent souvent davantage à l’occupation de l’espace, parfois au détriment de la dramaturgie de l’ensemble. Une petite étude sur cette question serait éclairante… Kirill Serebrennikov n’échappe pas à ce piège. Mission remplie si on peut dire. La gestion de la Cour d’honneur est parfaitement réussie, même si on peut tiquer – mais seuls les mauvais esprits le feront – sur la beauté esthétique (on dira que là n’est vraiment pas la question) des petites cabanes translucides sagement alignées sur le plateau et qui, déplacées, formeront une autre configuration de l’espace. C’est Kirill Serebrennikov en personne qui s’est chargé de cette affaire, en parfaite symbiose donc – on peut éventuellement le penser – avec son propos.

Ce qui est donc proposé à la vue dans la Cour d’honneur est tout simplement éblouissant. Un éblouissement qui va jusqu’à l’étourdissement. La chorégraphie, car authentique chorégraphie il y a, est signée Ivan Estegneev et Evgeny Kulagin qui ont donc dirigé les huit danseurs présents sur le plateau. Elle est soutenue par un chœur de sept chanteurs (barytons et ténors) : musique signée Jëkabs Krosch et direction Uschi Krosch. Voilà qui fait déjà beaucoup de monde auquel il faut bien évidemment ajouter les sept comédiens (les rôles des interprètes principaux étant presque tous démultipliés). Au total, il y a donc largement de quoi occuper le plateau ! Le tout dans une tonalité noire du plus bel effet. On pourrait être bluffé. On ne l’est pas vraiment, car très vite se pose la question de la réelle nécessité d’un tel sombre déploiement. Pour quelle réelle nécessité ? La nouvelle de Tchekhov, très largement remaniée dans sa structure même – c’est Kirill Srebrennikov qui en a lui-même fait l’« adaptation » – devient un lointain souvenir. Mais alors de quoi le metteur en scène entend-il nous faire part ? La machine, superbe, je le répète, finit par tourner à vide : qu’est-ce que ce chœur strictement masculin, muette conscience parfois ironique toujours présente, vient faire là à scruter les évolutions des protagonistes et surtout du personnage principal ? C’est là une des multiples questions qui se posent avant que l’on en revienne à un étalage de savoir-faire chorégraphique qui n’a plus rien à voir avec quoi que ce soit. Le spectacle s’achève d’ailleurs en pleine figure dansée, comme coupé : cela aurait donc pu se poursuivre à l’infini. Quant au personnage central, un certain Andrej Kowrin – il ne faut pas moins de trois interprètes pour assumer son rôle – dont la folie consiste à voir et à dialoguer avec le « moine noir », son traitement tombe dans les poncifs les plus éculés concernant la « vision » scénique de la folie. Ce n’est certes pas la faute des trois comédiens chargés de porter le personnage : ils l’assument avec un authentique talent. Tchekhov est bien loin. On pourra également tiquer sur le traitement de celle qui deviendra la femme d’Andrej Kowrin, mais n’allons pas plus avant.

C’est éblouissant et… vain. Un livre d’images dont certaines – sur la folie donc telle qu’elle est perçue dans l’imagerie populaire – sont parfaitement convenues.