Incandescence tragique

Jean-Pierre Han

30 mai 2022

in Critiques

Phèdre de Racine. Mise en scène de Robin Renucci. Tréteaux de France, du 1er au 4 juin à 19 h 30.

Tél. : 01 55 89 12 50. treteaux@treteauxdefrance.com

Phèdre - © Sigrid Colomyès(1) Nadine Darmon (Œnone) et Marilyne Fontaine (Phèdre), © Sigrid Colomyès

Ainsi va le petit monde du théâtre ; plusieurs mises en scène de Phèdre sont apparues ces derniers temps sans que l’on sache vraiment les raisons d’un tel « retour » à Racine, et plus particulièrement à son chef-d’œuvre. Contentons-nous de profiter de l’aubaine, si tant est que les propositions ne prennent pas trop de chemins de traverse… Une telle crainte ne saurait concerner Robin Renucci qui travaille sur la langue du poète depuis plusieurs années maintenant (depuis toujours a-t-on envie de dire) et vient de présenter coup sur coup, Andromaque, Bérénice et Britannicus avant d’aborder Phèdre. Quatre pièces créées selon le même principe de ce qu’il appelle « dans le simple appareil », c’est-à-dire sans fioriture aucune, sur un plateau quasi nu et dans le respect le plus strict du vers du poète.

Ce n’est un secret pour personne et Robin Renucci le proclame à l’envi (c’est quasiment un manifeste), dans son travail la langue est première. À ce stade il pourrait faire sien le titre de l’ouvrage de Du Bellay, La Défense et illustration de la langue française… et son travail de metteur en scène – un travail purement artisanal – consiste bel et bien à traduire (« illustrer ») en langage théâtral la langue du poète dans son rythme (le phrasé) et juisque dans sa phonétique.

monstration avec cette Phèdre donnée dans une des salles des Tréteaux de France que Robin Renucci va bientôt quitter après onze années d’intense activité pour prendre la direction de la Criée de Marseille. Avec le principe du « simple appareil » qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne va pas forcément de soi, et n’est peut-être pas aussi évident que cela à mettre en place. Ici le plateau est nu avec juste un tréteau rond en bois légèrement surélevé, qui couvre toute sa surface et s’inscrit dans le quadrilatère dont les côtés sont occupés par les spectateurs, alors qu’à chacun de ses angles se tiennent les comédiens, présents dans l’ombre avant de monter sur scène. Après un court prologue écrit (en vers) par toute l’équipe alignée et costumée en habit d’« époque » (par Jean-Bernard Scotto) – Robin Renucci aime ce genre de présentation du spectacle – commence la célébration de l’alexandrin racinien. À ce stade c’est une totale réussite. Dans la profération du vers racinien, dans le jeu des déplacements et les attitudes corporelles apparemment très simples. Les huit comédiens donnent corps et chair à leurs personnages que la proximité avec les spectateurs rend parfaitement sensibles. De ce qui pourrait sembler n’être rien, Robin Renucci fait théâtre, et il convient bien sûr de citer tous les interprètes, à commencer par Marilyne Fontaine dans le rôle de Phèdre, sensible et toujours juste, en passant par Patrick Palmero, un Théramène qui a le mérite de ne pas faire de sa célèbre tirade sur la mort d’Hippolyte un morceau de bravoure attendu, mais de la remettre à sa place dans la continuité de son personnage, ou encore Julien Tiphaine formidable dans le rôle de Thésée, et Nadine Darmon, tout aussi douloureusement tranchante, dans le rôle d’Œnone. Leurs camarades de plateau sont à l'unisson, de Judith d’Aleazzo, Eugénie Pouillot, Ulysse Robin qui joue cependant sur un rythme plus rapide que ses partenaires, et de Chani Sabaty.

Il y a dans cette Phèdre un travail d’intériorité qui confère à l’ensemble une réelle densité dans une perpétuelle tension qui étreint les spectateurs définitivement inclus dans cette phase tragique.