Rite de passage

Jean-Pierre Han

11 avril 2022

in Critiques

Seuil de Marilyn Mattei. Mise en scène de Pierre Cuq. Spectacle présenté (et vu) à Théâtre Ouvert, le 5 avril 2022. Programmé au Festival « À Vif », CDN de Vire-Le Préau les 17 et 18 mai. Puis du 8 au 27 juillet au Train Bleu (Festival d’Avignon Off).

Le texte du spectacle est publié par Théâtre Ouvert (Tapuscrit)

Le titre du spectacle signé par Pierre Cuq sur un texte de Marilyn Mattei est d’une parfaite justesse. La jeune autrice qui commence à posséder une certaine expérience (Seuil est son sixième opus à notre connaissance) œuvre en direction d’un public d’adolescents (mais pas que, bien sûr), ce qui semble être d’une parfaite logique puisque ce sont ces mêmes adolescents qui forment l’essentiel de ses personnages, et que les intrigues de ses pièces sont nouées autour de leurs préoccupations et de leurs problèmes. Seuil ne faillit pas à cette dynamique et annonce donc d’emblée son aire de réflexion. Une aire singulièrement délicate, l’adolescence étant précisément cet état intermédiaire – un seuil – entre l’enfance et l’âge adulte. Comment rendre compte et faire spectacle sans tomber dans le didactisme à deux sous et la mièvrerie ? On pouvait donc tout craindre à l’annonce de cette réalisation d’autant que les documents d’annonce et de genèse du projet expliquent bien l’étroite relation avec les instances scolaires avec un focus sur les violences et les agressions sexuelles qui se déroulent dans les collèges et autres lycées. Le terrain était pour ainsi dire miné. D’autant que le lieu désigné est d’abord celui d’une salle de classe, avec ses tables (que l’on pourra fort heureusement au fil de la représentation disposer selon différents schémas évoquant d’autres emplacements à l’intérieur du bâtiment scolaire). Quant au sujet c’est bien celui – encore un seuil à franchir – d’un rite d’initiation qui en passe inévitablement par des protocoles d’ordre sexuels.

Tout était à craindre, je l’ai dit, or le premier mérite du travail de Pierre Cuq (réalisé en étroite collaboration avec Marilyn Mattei) est d’éviter tous les écueils, de nous mener là où peut-être nous ne y attendons pas. Parce que déjà l’écriture de Marilyn Mattei ne s’embarrasse pas de fioritures, elle possède une efficace simplicité, et le metteur en scène la saisit telle quelle, ensuite parce que le travail de plateau qu’il effectue est tenu d’un bout à l’autre, ce qu’atteste sa direction d’acteurs. Ils sont donc deux, Baptiste Dupuy, l’adolescent mis en cause, et Camille Soulerin qui assume tel un Frégoli tous les autres rôles, homme ou femme, fille ou garçon, pour mener à bien en une série de courtes séquences bien découpées la démonstration (c’en est une, mais intelligemment et discrètement présentée). Ce qui frappe dans le déroulement du spectacle qui prend les allures d’une enquête, c’est véritablement la grâce, oui, de ces deux acteurs qui à eux deux (et un peu plus avec l’apport de voix enregistrées, mais sans vidéo, merci) parviennent à bâtir un univers sensible et trouble tout à la fois.