Un soupon de déception

Jean-Pierre Han

5 avril 2022

in Critiques

Une cérémonie par le Raoul Collectif. Théâtre de la Bastille, jusqu’au 14 avril, à 20 heures. Puis tournée à Tournai (Belgique), et CDN d’Orléans. Tél. : 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com.


Raoul Collectif dont le nom rend directement hommage à leur compatriote belge Raoul Vaneigem – tout un programme quand on connaît l’œuvre de ce dernier – jouit depuis ses premières productions d’une excellente réputation, et l’on cite volontiers leur avant-dernier spectacle, Rumeurs et petits jours présenté il y a 6 ans déjà au Festival d’Avignon, et ici même au théâtre de la Bastille. Le spectacle avait connu un immense et très mérité succès après celui du Signal du promeneur proposé en 2012. L’équipe constituée à la création, Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot, est restée la même depuis 13 ans, c’est un exploit par les temps qui courent, et elle poursuit son travail autour de « la parole, les mots, les corps, les voix, la musique, l’ivresse poétique. Et l’intelligence collective »… Une dynamique mise en branle dans leur dernier opus, Une cérémonie, avec le renfort de Leïla Chaarani, Julien Courroye, Clément Demaria et Anne-Marie Loop que l’on retrouve ici avec plaisir (c’est l’une des grandes actrices de la communauté belge que l’on avait notamment pu apprécier dans des mises en scène de Jacques Delcuvellerie). Trois spectacles en 13 ans d’existence, c’est peu dira-t-on, et on le regrette, mais c’est oublier que les membres du collectif qui continuent à travailler et à voyager ensemble (au Bénin pour ce spectacle et se pencher sur les rythmes et la musique de là-bas) ont des activités personnelles par ailleurs tout en poursuivant leur réflexion sur les réalités de tout collectif face à la réalité du monde dans lequel nous vivons.

D’un spectacle à l’autre, même dynamique, même volonté de se balader voire d’errer sur le plateau, entre digressions, pas de côté, pirouettes, chants… on est en pays de connaissance, tout cela dans un apparent fatras que l’entassement de chaises en plastique que l’on balancera allègrement ici et là, au milieu des instruments de musique de tous genres, entre une table de maquillage et un meuble faisant office de comptoir de bar, tout cela sous l’ombre des ailes d’un immense squelette métallique de ptérodactyle que l’un des protagonistes viendra de temps à autre actionner à l’aide d’une corde. À l’ombre trouée des ailes ce petit monde ne chantera pas victoire comme chez Stanislas Rodanski, mais fera au contraire état d’une sorte de perdition dans un monde à la mécanique de plus en plus affligeante, et dont on se demande quelle peut encore être notre action pour le dénoncer et le changer. Entre dépression et regain de vitalité et de courage pour lutter contre un monde néolibéral de plus en plus mortifère, le Raoul Collectif trace son chemin tout en ruptures, s’empare des figures auxquelles ils aiment à se référer, Ulysse, Hamlet, et surtout Don Quichotte ou AntigoneDrôle de cérémonie. Mais à travailler sur la dépression, sur le vide (de la pensée ambiante) on finit inévitablement par être pris au piège et à épouser son rythme. La machine, sur le plateau semble à certains moments tourner à vide effectivement, comme si le collectif cherchait ses mots et son mode d’action. Le spectacle, alors, bégaye quelque peu, heureusement repris dans son action par des morceaux de bravoure : chacun ou presque a le sien. La machine repart, mais laisse tout de même, malgré son humour constant, un goût de cendre dans la bouche. Il y a là quelque chose de l’ordre de l’utopie. Le cadavre du monde néo-libéral (« le capital et et la finance, la bêtise et les profits, le patriarcat et la fascination du pouvoir, les esprits étriqués et les discours dominants » bouge encore et le Raoul Collectif en fait parfois les frais. Malheureusement. Mais comme chaque spectacle dudit collectif est en cours d’évolution on se dit que rien n’est perdu…