Les troubles de la conscience

Jean-Pierre Han

3 avril 2022

in Critiques

Viviane de Julia Deck. Mise en scène et réalisation de Mélanie Leray. Le Monfort, jusqu’au 9 avril à 19 h 30. Tél. : 01 56 08 33 88.

À poursuivre son travail sur les Portraits de femmes qu’elle avait entamé avec Girls and boys de Dennis Kelly, il était presque logique qu’à un moment donné ou l’autre Mélanie Leray tombe sur le formidable ouvrage de Julia Deck, Viviane Élisabeth Fauville. Sauf que ce livre est un roman, ce qui en soi n’est pas forcément un problème (il n’est qu’à voir le nombre de romans adaptés à la scène) ; ce qui fait débat, ce n’est pas bien sûr la qualité de l’ouvrage, bien au contraire, mais sa nature. En un mot, et à relire ce Viviane Élisabeth Fauville, il apparaît, de prime abord, qu’il est parfaitement « inadaptable », l’autrice en une série de vingt chapitres ne cessant de passer d’un mode de narration à un autre, à telle enseigne d’ailleurs que le lecteur ne sait plus trop bien qui parle et qui raconte cette histoire – toute la gamme des pronoms personnels y passe – dont on ne sait pas plus si elle a un fondement d’une quelconque réalité. Qui parle ? (cette Viviane Élisabeth Fauville épouse Hermant, 42 ans, mère d’une petite fille de douze semaines ?). Ça parle. C’est tout.

C’est vrai qu’à travers cette histoire (une dérive ?), c’est un formidable portrait de femme qui s’esquisse, s’efface, se reconstruit ailleurs, autrement. C’est non moins vrai que Mélanie Leray a dû se trouver devant un véritable casse-tête au moment d’entamer l’adaptation de ce roman, puisque telle est sa qualification. Preuve que l’affaire était compliquée (et sans doute de ce fait plutôt alléchante) Mélanie Leray a eu besoin de pas moins de deux « outils » pour traiter le sujet : le théâtre et le cinéma ou l’inverse, le cinéma et le théâtre, on ne sait pas trop, la subtile intrication de ces deux registres artistiques – c’est réellement l’élément fondamental de la réussite du projet – formant un tout qu’un troisième élément, musical celui-là (composition de Yann Crépin) vient cimenter.

En route donc pour cette aventure dans les méandres de la conscience du personnage, cette Viviane Élisabeth Fauville à qui il faut pas moins de ces trois dénominations pour tenter de la saisir ou de la faire exister. On pourrait même à la limite ajouter celle de Hermant (bientôt ex)… 

Espace de la représentation de la folie bien partagé, grand écran pour le film en noir et blanc où s’agitent différents personnages, espace surtout de l’enfant qui joue un rôle fondamental – quasiment le principal ! – dans le récit, en hauteur, le premier étage de la conscience perturbée de Viviane Élisabeth Fauville… que l’on retrouve en bas dans l’espace théâtral à la sobriété monacale, celle des hôpitaux ou des cellules de prison : un lit, une table, une chaise… dans une stricte disposition. À quoi il faut encore ajouter un autre élément, celui d’une cadreuse (Lara Laigneau) chargée de suivre l’unique personnage, seul sur scène, la plupart du temps allongé sur son lit. Ce personnage qui paradoxalement dans la rigueur minimaliste de son jeu envahit tout l’espace, déploie dans les allers et retours avec l’écran une présence absolue, surtout dans ses errances dans la très précise topographie des rues et des quartiers de Paris où se déroule l’action. Viviane Élisabeth Fauville c’est Marie Denardaud, et ce qu’elle réalise est simplement formidable de tension qui refuse d’apparaître comme telle, dans une sorte de non jeu qui la (nous) plonge dans les méandres de la conscience. Elle est bouleversante. Actrice de la réussite du pari de Mélanie Leray.