Un ciel chargé

Jean-Pierre Han

16 mars 2022

in Critiques

Le Ciel de Nantes, texte et mise en scène de Christophe Honoré. Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 3 avril, à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40.

Il fallait bien, à force de tourner autour de la question de sa filiation dès ses premiers livres, que Christophe Honoré finisse par en arriver à plonger de plain-pied dans sa matière familiale (côté maternel). Voilà qui est fait, de manière au départ indirecte, puisque son idée première était de réaliser un film. Dans l’impossibilité de mener à bien ce projet il s’est donc dirigé vers le théâtre, ce qui tendrait à prouver que c’est encore vers le vieil art que la liberté de créer est la plus grande et permet à l’imagination de se développer. Théâtre donc, mais à la condition expresse de faire référence au cinéma de manière insistante, car une fois de plus l’intéressé n’hésite pas à se mettre en scène et à clamer son attachement au 7e art. Et, en fin de compte, c’est du théâtre noyauté par le cinéma (et la vidéo) que nous livre l’auteur-metteur en scène.

Soit donc Christophe Honoré soi-même (interprété par Youssouf Abi-Ayad, personnage central mais pourtant en retrait par rapport à ses camarades) ayant invité tous les membres de sa famille à venir assister aux essais cinématographiques qu’il a fait sur eux. Le tout se passe dans un vieux cinéma d’autrefois avec ses fauteuils orange vifs, ses portes à deux battants et avec des hublots. On s’y croirait presque… C’est la « Dernière séance », revue et aménagée par le scénographe Mathieu Lorry-Dupuy, mais en lieu et place des vendeuses d’eskimos d’autrefois c’est la famille maternelle de Christophe Honoré qui va soudainement se remettre à vivre, disparus et vivants tout à la fois. On aura compris que l’élément nostalgique est posé d’emblée, et malgré l’agitation – c’est un doux euphémisme – la saga pourra commencer.

Ils sont donc tous là, témoins privilégiés et acteurs des configurations imaginaires du « petit Christophe ». Mais bien sûr, à force d’agitation, ils finissent presque par échapper à la remémoration de l’intéressé. C’est du grand art, dans lequel les nœuds de l’intrigue véridique et/ou imaginaire de la cellule familiale côté maternel est plus que lourde et pendant laquelle les secrets comme en possèdent toutes les famille finissent par être dévoilées. C’est mené au pas de charge à partir – sommet de la pyramide – de la matriarche Mémé, Odette de son nom (personnage investi avec « générosité » et talent par Marlène Saldana), mère de huit enfants en plus des deux autres que son mari, bel hidalgo catalan, policier de son état, avait eu d’un premier mariage… La belle vie en somme, faites d’injures, de coups et blessures. Ne reste plus au cinéaste Christophe Honoré, celui de la pièce, qu’à dérouler le fil familial, ou plutôt à lancer « ses » personnages, comme on jette des dés, dans l’espace de la salle de cinéma, dans l’espace de sa mémoire. C’est presque trop « beau » (!) pour être vrai, mais c’est la triste réalité (qui soutire les rires qui ne sont jamais que les masques de la pudeur), avec ses querelles, ses maladies, ses accidents, ses suicides, toujours ses morts, le tout sur un fonds d’histoire avec un grand H, forcément, avec la Deuxième Guerre mondiale, puis celle d’Algérie. Comme c’est mené de main de maître par une belle équipe, une famille théâtrale celle-là, Jean-Charles Clichet en tête, et avec Harrisson Arévalo, Julien Honoré qui assume le rôle de la mère de l’auteur, Chiara Mastroianni et Stéphane Roger, sans parler de Youssouf Abi-Ayad et Marlène Saldana déjà cités, on se laisse aisément mener, même si, effet de la ratiocination de l’esprit toujours en recherche d’on ne sait quelle impossible vérité, cela semble ne plus devoir se terminer sous le ciel toujours lourd de Nantes…