Frida Kahlo mise à nu

Jean-Pierre Han

2 mars 2022

in Critiques

Viva Frida de Didier Goupil. Mise en scène de Karelle Prugnaud. Spectacle créé le 22 février à Châteauvallon-Liberté, scène nationale. Tournée du 9 au 12 mars au Théâtre national de Nice, puis reprise en septembre à la Scène nationale de Dieppe, à Ajkaccio, Sète, la Criée de Marseille et l’Archipel de Perpignan.

Initiatrice du projet, Claire Nebout n’a pu qu’être renforcée dans sa détermination à travailler autour de l’incroyable personnalité de Frida Kahlo après avoir pris connaissance du montage des extraits de la correspondance de l’artiste mexicaine que Didier Goupil avait réalisé à sa demande. On l’aurait été à moins : on savait que ce n’était pas le genre de Frida Kahlo d’être dans la moindre pudique retenue concernant aussi bien les actes de sa vie privée que ceux de sa vie publique, mais avec la réalisation de Didier Goupil, découpée en 7 tableaux, comme les 7 étapes vers on ne sait quelle « assomption », elle qui affirme (cela clôt le spectacle) : « Quitte à mourir, autant choisir son enterrement/Et que ce soit un enterrement de première classe/Foi de coyote », nous nous retrouvons, sans le moindre répit, et avec une sorte de rage, au cœur de la vie, au cœur de sa vie.

Le tempo est donné dès le départ : « J’an ai strictement rien à foutre de ce que tout le monde peut bien penser. Je suis née pute, je suis née peintre, je suis née chieuse, mais j’ai été heureuse tout au long de ma vie ». Tout est dit d’emblée. Restait juste à régler quelques comptes, avec le célèbre muraliste Diego Riviera notamment (« Reste dans ta misérable vie de porc, tu n’es qu’une merde » !), l’homme de sa vie qu’elle aime d’un amour fou ! Alors, effectivement, Viva Frida comme dit le titre…

L’autre coup de maître de Claire Nebout est d’avoir immédiatement pensé à Karelle Prugnaud avec laquelle elle avait déjà travaillé dans Léomie et Noélie de Nathalie Papin présenté à Avignon in il y a quatre ans, pour assumer la mise en scène. Également comédienne, performeuse, circassienne au fort tempérament, Karelle Prugnaud est l’exacte artiste qu’il fallait pour s’emparer des écrits de Frida Kahlo (par l’entremise de Didier Goupil). La question étant de savoir comment rendre compte, forcément de la manière la moins prosaïque possible, de cette bombe d’énergie vitale que fut l’artiste mexicaine, physiquement martyrisée dès son enfance – qui en portera les stigmates sa vie durant –, corps recru de douleur et torturé (avec cette barre métallique la traversant de part en part pour soutenir sa colonne vertébrale, et la déflorant au passage) jusqu’à l’amputation… Et pourtant, loin de se recroqueviller sur ses maux, c’est un constant appétit de vie qui se donne libre cours : « Et un seul credo dorénavant:/VIVA LA VIDA ! ». C’est tout cela que Claire Nebout donne admirablement à voir et à sentir en un flux tendu, intensité de jeu jamais démentie, corps contraint enfermé dans un corset de fer qui sera fendu devant nous après que l’actrice ait été déposée sur une planche à clous. L’inventivité de Karelle Prugnaud est sans limite même si elle reste au plus près de la nature même du personnage et se déroule à l’ombre de la mort partout présente, mais à la manière qu’ont les mexicains de l’aborder, dans un flot d’images et de couleurs…

La signature de la mise en scène, Karelle Prugnaud l’aura donnée en prologue, devant un rideau de tissu léger où Rémy Lesperon effectue un strip tease endiablé (et volontairement caricatural), avant de regagner revêtu cette fois-ci d’une blouse d’infirmier, sa table de travail de créateur sonore et musical en regard à l’autre bout de la scène d’un autre infirmier, Gérard Groult, créateur lumière et scénographe tout à la fois… C’est tout le spectacle avec en outre les images vidéo de Tarik Noui, les costumes d’Antonin Boyot-Gellibert, qui vit et s’épanouit sous ce règne baroque.