Tragique pur

Jean-Pierre Han

10 février 2022

in Critiques

L’Enfant que j’ai connu d’Alice Zeniter. Mis en scène de Julien Fisera. Théâtre Dunois, jusqu’au 12 février à 19 heures (jeudi) et à 20 heures(vendredi et samedi). Tél. : 01 45 84 72 00.

reservation@theatredunois.org

Le titre du spectacle, L’enfant que j’ai connu, d’Alice Zeniter qui a répondu à la commande que lui a passée Julien Fisera, est on ne peut plus clair et a le mérite de ne pas nous embarquer sur de fausses pistes, ce que l’« anecdote » (qui étant donnée sa gravité n’en est vraiment pas une !) aurait pu nous amener à emprunter. Il est en effet question du meurtre (de l’exécution, pour être tout à fait clair) d’un jeune homme par un policier lors d’une manifestation. Un événement qui malheureusement ne peut que nous renvoyer à une certaine réalité des choses, alors que l’effet de réel est comme mis à distance par l’écriture et la structure du texte de l’autrice. À suivre la description qu’elle expose il n’y a même pas à rechercher ce qui est de l’ordre de la réalité et de la vérité des faits. L’enjeu de la représentation ne se situe pas à ce niveau. Et c’est tant mieux car cela nous évite de nous retrouver devant une mise en scène convenue. On l’aura compris, l’intérêt du spectacle réside bien ailleurs : dans l’insupportabilité du vécu de la mère du jeune manifestant. On touche là au tragique pur, celui mis en place par les dieux de la mythologie.

La mère est seule sur le plateau, il n’y a qu’elle, avec ce qui, physiquement, est de l’ordre de l’insoutenable. Corps saisi de soudaines convulsions, comme si elle tentait de s’en extirper, d’en extirper la douleur liée à un sentiment de culpabilité – tous sentiments que l’on ne connaît que trop bien après le deuil d’une personne chère –, mais portées ici à leur paroxysme. C’est la comédienne Anne Rotger qui se charge de cette partition destinée à nous mettre – nous aussi – mal à l’aise. Ce qu’elle réalise sur le plateau nu uniquement habité par des rangés de sacs en papier kraft, dans une aveugle confiance en son metteur en scène qui réalise là un très subtil travail, est simplement magnifique dans son côté décalé et presqu’inattendu. Elle ose et va jusqu’au bout de l’insupportable.