Un impossible dialogue ?

Jean-Pierre Han

2 février 2022

in Critiques

Kap O mond ! d’Alice Carré et Carlo Handy Charles. Mise en scène d’Olivier Coulon-Jablonka. Créé au Théâtre l’Échangeur-Bagnolet le 17 janvier 2022. Tournée à Guingamp et à Vitry-sur-Seine.


Olivier Coulon-Jablonka possède une parfaite maîtrise des « petites formes » d’une heure environ dans lesquelles il excelle à faire surgir après un travail d’approche dit documentaire faute de mieux, des problématiques éminemment politiques. Il a ainsi déjà donné plusieurs « Pièces d’actualité », une appellation et une série inventées par le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Il avait à cette occasion travaillé avec Alice Carré (et la cinéaste Sima Khatami) dans La Trève. Il récidive cette fois toujours avec Alice Carré, sur une thématique qui leur tenait à cœur autour de la question de la relation de la France avec une de ses ex-possessions, Saint-Domingue qui se nommera Haïti en 1804, dix ans après l’abolition de l’esclavage. Les circonstances (confinement et autres tracasseries) les ont contraint à réduire la voilure, tout en restant en Haïti, qui demeure l’objet principal de la pièce. Avec cette fois-ci le resserrement sur des duos apparemment antinomiques (mais c’est pour les besoins de la cause ou de la démonstration), soit à l’écriture la française Alice Carré et un auteur haïtien, Carlo Handy Charles, qui lancent sur le plateau un personnage, jeune français bon teint, qui veut fuir la banlieue et son père prof d’histoire dans un collège, et un jeune haïtien issu d’un milieu pauvre venu faire ses études en France. Tout deux rêvent d’un autre monde, se rencontrent à l’université, nouent amitié, puis se séparent, physiquement et idéologiquement. Rien de plus logique si l’un est joué par un acteur français Charles Zevaco, et un acteur né en Haïti, Roberto Jean. Tout deux, en tout cas, ont en commun le fait de jouer avec simplicité et rigueur. La direction d’acteur d’Olivier Coulon-Jablinka y est sûrement pour quelque chose…

C’est, l’air de rien, une sorte de débat d’ « idées » qui s’instaure, et pour un peu on pourrait quasiment parler de dialogue philosophique si cher jadis à Diderot (pour l’anecdote on rappellera qu’Olivier Coulon-Jablonka a monté il n’y a pas si longtemps que cela, Trois songes-un procès de Socrate !). En tout cas, Alice Carré et Carlo Handy Charles s’y entendent pour mettre au jour les contradictions dans lesquelles les sociétés d’aujourd’hui baignent, et comment, saisis dans ces réseaux, nous finissons par être « pris comme des rats », pour reprendre une expression d’un philosophe d’un ancien temps… Haïti est le lieu géométrique des deux amis : l’un, le français, s’engagera dans une mission humanitaire en Haïti, l’autre y retournera après dix ans d’absence mais part vivre aux États-Unis où il entend poursuivre son ascension sociale… Une fin plutôt désenchantée…