Un travail d'entomologiste

Jean-Pierre Han

30 janvier 2022

in Critiques

Toute la vérité par le Théâtre Déplié. Mise en scène d’Adrien Béal. T2G Théâtre de Gennevilliers. Jusqu’au 6 février à 21 h. Tél. 01 41 32 26 26. theatredegennevilliers.fr

Adrien Béal possède l’art de choisir des titres qui présentent l’avantage de nous indiquer dès l’abord la direction de travail dans laquelle il entend s’engager. Déjà le nom de sa compagnie créée en 2009, « Le Théâtre déplié », trace les lignes de son ambition : déplier le théâtre, mettre à plat et au jour ce qui est de l’ordre d’une certaine énigme, ce qui pourra paraître une douce utopie que bien évidemment il ne méconnaît pas ! En tout cas, l’ordre et l’enjeu de son action sont signalés d’emblée.

Cette fois-ci le Théâtre déplié nous propose un spectacle qui répond au nom que l’on pourra considérer comme doucement ironique de Toute la vérité... Un titre en forme d’antiphrase ? Pas forcément mais on remarquera simplement qu’il fait suite à l’appellation de ses derniers spectacles à savoir perdu connaissance et Les Pièces manquantes (puzzle théâtral), et reste dans leur logique de pensée. Toute la vérité viendrait donc clore ou ouvrir cette sorte de trilogie sur une nouvelle forme d’interrogation. Il semble néanmoins vouloir répondre à la « perte de connaissance » – la vérité venant enfin à émergence – et faire mine de trouver les dernières pièces manquantes du puzzle théâtral. Tout y est (en tout cas c’est annoncé comme tel) « déplié » au vu et au su de tout le monde : enfin une résolution théâtrale de tous nos questionnements aussi bien théâtraux que sociétaux ? Un sacré leurre que la qualité de ce qui est proposé sur le plateau remarquablement aménagé par Anouk Dell’Aiera autorise pour que la démonstration puisse se développer sans trop d’ambages. Le tout avec les six partenaires (trois couples dans leurs multiples combinaisons), les mêmes que dans perdu connaissance et les Pièces manquantes, à savoir Pierre Devérines, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Étienne Parc et Cyril Texier, et Caroline Darchen à la place de Boutaïna El Fekkak. Autant dire qu’ils sont plus que rompus à ce genre d’exercice qu’ils exécutent avec une réelle maestria, passant allègrement d’un « rôle » à un autre, d’un registre de jeu à un autre. Il y a là une réel travail de groupe, pour ne pas parler de collectif, terme tellement à la mode qu’il a fini par ne plus dire grand-chose. Ensemble, avec les autres membres de l’équipe, ils ont inventé une grammaire de jeu – de pensée ? – qu’ils ont assimilée au fil des spectacles, ce qui leur permet d’évoluer en toute aisance, connivence et intelligence.

C’est toute la question du théâtre, avec ses problèmes internes comme celui du traitement des micro-fictions proposées, de leur relation avec le réel, et de leur rapport avec la société qui sont ainsi exposés dans un vrai travail d’entomologiste.