"L’Avare" décapé

Jean-Pierre Han

28 janvier 2022

in Critiques

L’Avare de Molière. Mise en scène de Benoît Lambert. Spectacle créé le 18 Janvier 2022 à la Comédie de Saint-Étienne – CDN. Tournée au Théâtre Dijon-Bourgogne du 2 au 11 février. Tél. : 04 77 25 14 14

Il n’aura pas fallu attendre l’anniversaire des 400 ans de Molière pour que Benoît Lambert s’intéresse et entretienne avec l’auteur de l’Avare une relation étroite. Chaque étape importante de son parcours de metteur en scène a toujours été jusqu’à présent ponctuée par un travail sur l’une des grandes pièces de Molière. Monter l’Avare aujourd’hui s’imposait donc puisque c’est sa première mise en scène à la Comédie de Saint-Etienne dont il vient de prendre la direction. Avec quasiment l’assurance d’être dans les meilleures conditions possibles pour ne pas se tromper. En l’occurrence, le nouveau responsable du CDN fait même beaucoup mieux : il offre à son public un spectacle d’une grande envergure qu’il entend situer dans la lignée spirituelle des prestigieuses figures de la décentralisation (encore que le grand lessivage de l’oubli qui est une des caractéristiques de notre temps ne les épargne guère) celle des Jean Dasté, le créateur de cette Comédie de Saint-Étienne (Centre dramatique de la Cité des mineurs à l’origine), ou encore celle de Roger Planchon, le « voisin » de Lyon, dont les mises en scène de Molière, de George Dandin à L’Avare justement, en passant par le Tartuffe ont largement contribué à nous donner une image dépoussiérée et « contemporaine » de l’auteur.

Le but que s’est assigné Benoît Lambert est largement atteint. Son travail est réalisé selon un schéma classique de représentation qui n’est guère dans l’air du temps, à savoir en premier lieu le respect et la mise en valeur du texte – cela ressemble à une lapalissade, mais ne l’est plus guère aujourd’hui – dans une appréhension fine de sa rythmique et de son esthétique, de ses enjeux et de ce que ceux-ci sous-tendent. Dans cet Avare, écrit la même année que George Dandin, ce qui n’est pas un hasard, tout tourne autour de la question du fric et d’un certain rapport de classe entre la bourgeoisie en pleine ascension et la noblesse. Benoît Lambert reste au plus près de la parole de l’auteur et ses différents registres d’énonciation selon les personnages : il n’y a pas une once de fioriture (de graisse) dans ce domaine et tout se passe dès lors comme une belle et impitoyable mécanique. C’est une mise en scène et une direction d’acteurs réalisées au couteau, avec une sécheresse de bon aloi. Il est vrai que sa tache est très largement facilitée par son complice de toujours, Emmanuel Vérité, le tout dans la formidable scénographie d’Antoine Franchet (autre collaborateur de longue date) qui ouvre l’espace au lieu de le fermer, permettant au comédien de déployer tout son talent. Comme le reste de la distribution, des jeunes issus de l’École de la Comédie et de l’ESAD, (Estelle Brémond, Baptiste Febvre, Théophile Gasselin, Maud Meunissier) et qui intègrent donc le CDN, et les très expérimentés Anne Cuisenier et Étienne Grebot (heureuse idée de lui faire jouer plusieurs rôles secondaires) que l’on a plaisir à retrouver, autant dire que tous les éléments sont réunis pour qu’Emmanuel Vérité se sente particulièrement à l’aise et s’approprie avec une étonnante détermination tout l’espace de la scène. Ce qu’il réalise est tout simplement étonnant dans le dessin à l’encre sèche du personnage. Pour un peu le rire finirait par rester coincé dans nos gorges, alors que la musique d’ouverture du spectacle (création sonore de Jean-Marc Bezou) nous renverrait facilement vers un autre horizon ; Molière et à sa suite Benoît Lambert jouent avec délice des contrastes, dans la cadence d’une prose étonnamment rythmée, qu’en tout cas le comédiens ont parfaitement en bouche, comme on dit.

Une réelle et bienheureuse réussite.