Éradiquer le fléau

Jean-Pierre Han

10 janvier 2022

in Critiques

Fuir le fléau conçu et réalisé par Anne-Laure Liégeois. Spectacle créé à la Maison de la culture d’Amiens en octobre 2021. Actuellement en tournée au Volcan, Scène nationale du Havre, puis à Châtenay-Malabry et Mulhouse.


Fuir le fléau ? Allons donc ! Anne-Laure Liégeois qui n’est pas une novice, loin de là, en matière de regroupement ou de rassemblement d’auteurs et de comédiens dans des grandes « parades » plus ou moins festives (que l’on se souvienne, quasiment dès ses débuts dans la profession, de ses spectacles déambulatoires à partir de la pièce de Christian Rullier, Le Fils, avec une cinquantaine de comédiens, ou encore d’Embouteillage avec sa trentaine de comédiens pour autant d’auteurs !) plutôt que de fuir le fléau, et donc le dernier en date, celui de la Covid-19 dans lequel nous baignons encore, Anne-Laure Liégeois a une manière bien à elle de l’affronter. Le hasard faisant bien les choses – une prémonition ? – elle avait récemment travaillé sur cette question aussi bien dans On aura tout donné au Festival d’Avignon qu’autour du Décaméron de Boccace où il est question de la peste noire qui sévit à Florence en 1348…

Pour aussi douloureuses qu’auront été les mesures prises pour « fuir le fléau », il ne semble donc pas qu’Anne-Laure Liégeois ait été prise de court. Dès les premiers mois de confinement, elle mettait sur pied son projet avec une bande de camarades, auteurs et acteurs, prêts à s’embarquer dans l’aventure proposée. Ensemble, ils auront donc traversé et percé la longue période de réclusion que l’on espère, mais rien n’est acquis, définitivement achevée. En a surgi un spectacle – c’en est un et de belle facture – qui cultive son côté atypique et qui, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre et très paradoxalement est des plus réjouissant. Ils sont donc plus d’une vingtaine, auteurs à qui commande a été passée de courts textes sur la question ne devant pas excéder une dizaine de minutes. À chaque comédien sa partition : cela donne une panachage plutôt jubilatoire, les registres d’écriture et de jeu étant bien évidemment très divers suivant les couples formés. Ceux de Norah Krief avec Leslie Kaplan ou d’Alvie Bitemo avec Scholastique Mukasonga notamment alors que l’on retrouve avec un plaisir évident les toujours très fidèles (depuis les tout débuts de la metteure en scène) Olivier Dutilloy et Anne Girouard à l’énergie communicante… Il faudrait pouvoir tous les citer, de Vincent Dissez, Isis Ravel côté « scène », à Valérie Cachard, Jean-Marc Royon, Jacques Séréna, Rémi de Vos, côté feuille blanche… Un vrai kaléidoscope !

Scénographe de tous ses spectacles, Anne-Laure Liégeois a cette fois-ci imaginé un dispositif particulier qui évolue peut-être au fil des lieux où se donne le spectacle. Avec un plateau devenu tabou, elle divise le public en différents groupes, le nôtre se retrouvant dans les soubassements du théâtre, les entrailles d’un véritable navire avec ses machineries. Chaque groupe sagement assis voit défiler les comédiens un à un avant de se retrouver en fin de parcours dans le hall du théâtre avec tous les participants. Il reste même une pointe de frustration de n’avoir pu vivre les expériences des autres groupes, dans d’autres lieux, assignés que vous étiez à un endroit précis sans avoir le droit de bouger…