la discrète musique d'une vie sans importance

Jean-Pierre Han

15 décembre 2021

in Critiques

Anne-Marie la beauté de Yasmina Reza. Mise en scène de l’autrice. Théâtre national de la Colline, jusqu’au 23 décembre à 20 heures (mardi à 19 heures). Tél. : 01 44 62 52 52.

Anne-Marie la beauté avait paru en 2020, en plein confinement. Sans mention de genre, romanesque, théâtral ou autre, mais avec une dédicace adressée à André Marcon, ce qui, évidemment, nous ramenait à l’art théâtral, André Marcon étant un fidèle serviteur sur les planches de l’écriture de l’autrice. Le théâtre nous y sommes d’ailleurs bel et bien ici puisque Yasmina Reza donne la parole à une vieille actrice, Anne-Marie Mille, qui a toujours œuvré dans l’ombre de celles qui, comme Giselle Fayolle, son amie de toujours depuis leurs débuts de carrière, attirent tous les feux des projecteurs. À cette dernière qui vient de mourir, les grands rôles et une certaine célébrité, à Anne-Marie des seconds rôles, ceux des servantes ou des suivantes dans les classiques du répertoire. Mais la disparition de Giselle Fayolle n’aura, en fin de compte, pas « fait tellement de bruit », quant à Anne-Marie, petite main du théâtre, elle fera le simple constat de la réalité de son destin : « tu commences petites gens et tu finis petites gens », au moins elle ne sera pas tombée de haut quand on sait – elle le dit – qu’« il ne faut pas oublier une chose madame : dans notre monde on tombe de haut »… Pas de récrimination, mais l’affirmation d’un amour de la chose théâtrale. Celui d’Anne-Marie Mille et de Yasmina Reza s’amusant à réinventer le monde des compagnies, celle d’un Prosper Ginot, avec les comédiens Madeleine Puglierin, Odette Ordonneau ou Armand Cheval, bien d’autres encore, le Théâtre de Clichy qui n’a jamais existé pas plus que Poupi ou Raymond Lice… Une pléiade de noms inventés de toute pièce où apparaît curieusement en cours de route celui d’Alain Delon. La fiction se mêle à la réalité, alors que tout un monde d’un ancien temps surgit avant de disparaître.

Anne-Marie dévide au fil de ses souvenirs quelques bribes de sa vie à un interlocuteur imaginaire, homme ou femme, journaliste ou simple spectateur, peu importe après tout. Il est question de théâtre, répétons-le, de petites choses et d’autres de la vie. Trois fois rien en somme sauf que ce rien est porté par André Marcon dont les accessoires vestimentaires suffisent, les mots suffisent, son art pour se saisir et faire siennes les paroles de Yasmina Reza suffisent pour rendre sensible la féminité d’Anne-Marie Mille. Le comédien réalise là une performance de très haut niveau : c’est l’art du théâtre porté à son point d’incandescence. Tout cela dans une scénographie dépouillée signée Emmanuel Clolus : une simple méridienne posée au centre de la scène qu’entourent des figures sombres sur fond blanc à moitié effacées et sorties de l’imagination du peintre suédois Örjan Wikström. Comme un rappel lointain de la vie d’Anne-Marie Mille…