L'art de l'échec

Jean-Pierre Han

11 décembre 2021

in Critiques

Le Passé d’après Léonid Andréïev. Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin. Festival d’automne. Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 19 décembre, à 19 h 30, puis tournée. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu

Dans le très précieux entretien que Julien Gosselin, concepteur et metteur en scène du Passé de Léonid Andreïev, a accordé pour le fascicule distribué aux spectateurs, quelques révélations-confessions sont particulièrement intéressantes. On trouve ainsi cet aveu : «  Je crois [aussi] très profondément en l’idée que, quand on est un artiste, plus on avance dans son travail, plus on doit s’approcher non pas de la réussite mais de l’échec. » Que l’« artiste » Gosselin se rassure : son Passé de Léonid Andreïev est un pur ratage. À cela, malheureusement, maintes raisons. On connaît bien désormais la manière de procéder du metteur en scène, adaptateur, c’est-à-dire réducteur de textes – souvent des romans – et, ici, montage de pièces et d’extraits du dramaturge russe, ami de Gorki. Ce qui est, on l’en félicite, une excellente idée (le choix d’Andréïev, moins le montage proposé qui tente d’être dans une continuité logique).

D’emblée, la musique vous saisit dans toute sa tonitruance. Musique et sons assourdissants comme toujours, le trio formé par Guillaume Bachelé, Maxence Vandevelde pour la musique et Julien Fereyn pour le son, sévit et ne vous lâchera plus : une véritable entreprise de décervelage. Mais au moins nous sommes prévenus : nous sommes dans le drame le plus pur ; état de tension poussé à son point d’incandescence. On sera quand même étonné de trouver au milieu de ce fatras, un petit air de Grieg ! Pour le reste c’est de la pure musique de film, ce qui tombe plutôt bien puisque le cinéma ou la vidéo ici, il ne sera question que de cela. On connaissait la propension de Julien Gosselin à faire un usage immodéré de la vidéo comme dans Joueurs, Mao II, Les Noms, d'après Don DeLillo pour ne prendre que cet exemple ; c’est encore mieux cette fois-ci, ou plus radical si l’on veut, puisque l’on n’assistera pas à des désormais classiques allers et retours entre l’intérieur (filmé) et l’extérieur. Les comédiens n’apparaissent quasiment plus hors des maisons, hormis un court monologue dit par une comédienne en cours de spectacle. Écran géant surplombant la façade d’une demeure, nous ne verrons que cela. Sommes-nous pour autant au cinéma ? Pas vraiment. Les comédiens continuent à jouer comme s’ils étaient au théâtre, ce qui finit par devenir exaspérant et vite insupportable. Les malheureux font ce qu’ils peuvent, mais cadrés comme ils le sont, poussés à jouer de manière paroxystique jusqu’à la caricature, l’affaire n’est pas franchement enthousiasmante.

Toujours dans ses explications (dans le dossier de presse cette fois-ci), Julien Gosselin précise que dans les écrits d’Andreïev, « il est beaucoup question de mœurs : adultère, mensonges dans la cellule familiale… Ce n’est pas le théâtre que je fais habituellement, mais cela va justement me permettre de questionner les mécanismes extrêmement classiques de la théâtralité, qui vont de cette époque jusqu’au vaudeville et au boulevard ». Au vaudeville et au boulevard, plus la propension à la série télé, on y est, mais on y était déjà en fait dans ses travaux précédents, de manière on ne peut plus sérieuse, d’un sérieux de plomb même. Autant de raisons qui ne permettent pas de vraiment apprécier Léonid Andréïev dans la traduction d’André Markowicz. On ne peut que le regretter.