Un spectacle incandescent

Jean-Pierre Han

6 décembre 2021

in Critiques

Colère noire de Brigitte Fontaine. Mise en scène et interprétation de Gabriel Dufay. Les Plateaux sauvages, jusqu’au 11 décembre à 20 heures. Tél. : 01 83 75 55 70.

 

« J’essaie de donner une forme à ma rage » clame Brigitte Fontaine dans le 12e chant (appelons les choses ainsi faute de mieux) de son texte, Colère noire. C’est dans cet esprit que Gabriel Dufay a adapté, mis en scène et interpréte cette Colère noire, et il y a adjoint des extraits d’une autre œuvre de l’autrice, Antonio, histoire de rendre les choses, un peu plus claires, ce qui est une façon de parler, puisque l’on reste dans la même sombre tonalité.

« Pour jouer je donne une forme à ma rage » ajoute Brigitte Fontaine dans la même strophe citée. Gabriel Dufay prend à son compte cette rage – c’est aussi la sienne – et lui donne sa propre forme. Même si elle est en parfaite synergie, pas son illustration (c’est ce qui fait sa qualité) avec l’interpellation de l’autrice. Car le lecteur et le spectateur sont directement interpellés. Impossible d’y échapper. Nous sommes pris au piège, bien obligés d’écouter et de voir ce que Brigitte Fontaine et Gabriel Dufay ont à nous asséner. Une rage à l’état pur. « Ne fuyez pas, l’Enfer est partout » nous intime-t-on. Mais à ce stade qui aurait envie de fuir ? On parle bien de la beauté du diable. Le spectacle dans lequel Gabriel Dufay nous plonge possède la beauté du diable. Souffle coupé, nous sommes dans la plus belle des noirceurs, celles des cendres partout présentes sur le plateau conçu, imaginé par Margaux Nessi. D’ailleurs le spectacle commence ainsi, avec les images vidéo de Vladimir Vatsev projetées en fond de scène sur un écran géant, des cendres qui se déversent vers nous en éclats. « Je suis un tas de cendres qui a peur du vent »… avoue encore Brigitte Fontaine. Le vent se lève sur la scène des Plateaux sauvages. Et c’est admirable cet espace – une décharge ? – que va habiter le comédien, par séquences, avec en retrait, côté cour, une estrade où officie le duo Brady que composent Michèle Pierre et Paul Colomb au violoncelle. Sol jonché de cendres, longues flammes de feu qui crépitent, Gabriel Dufay évolue souffle et nerfs tendus, rythme le texte de Brigitte Fontaine jusqu’à son point d’incandescence (« Incandescence », tel est d’ailleurs le nom de sa compagnie théâtrale). La chorégraphe Kaori Ito a apporté sa touche à l’évolution du comédien. C’est d’autant plus admirable que derrière cette rythmique syncopée d’enfer, se cache et dans le texte et dans son interprétation, une réelle générosité, une réelle humanité que les discrètes apparitions d’un vieil homme à qui Michel Archimbaud prête sa silhouette, accentue encore. Il y a dans ce spectacle, paradoxalement, un véritable amour de la vie.