Retour aux sources

Jean-Pierre Han

29 novembre 2021

in Critiques

L’Île d’or. Création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous, dirigée par Ariane Mnouchkine. Jusqu’en février 2022, à 19 heures 30. Théâtre du Soleil-Cartoucherie de Vincennes. Tél. : 01 43 74 24 08.

Soyons clair. Ariane Mnouchkine aura marqué de son empreinte notre histoire du théâtre, et on n’en finirait plus de citer les grands spectacles qui ont jalonné son parcours, toujours réalisés en harmonie au cœur de son équipe du Théâtre du Soleil avec laquelle elle a inventé une manière bien particulière de concevoir le travail théâtral dans notre société. Qu’elle nous donne donc avec son « collectif » un nouveau spectacle ne peut dès lors que nous réjouir, alors qu’elle hante depuis de longues années notre mémoire théâtrale. Sauf qu’en l’état actuel des choses il est fort à parier que son dernier opus, L’île d’or, ne fera sans doute pas partie de cette mémoire. Autant le dire, la déception est au rendez-vous. Pourtant tous les ingrédients qui ont fait le succès du Théâtre du Soleil, qui ravissent toujours le public assemblé dans une sorte de grande communion y sont. On y est d’autant plus sensible que cette Île d’or est un authentique retour aux sources, celles de l’inspiration d’Ariane Mnouchkine vers le Japon qu’elle avait découvert il y a près d’une soixantaine d’années, et dont on retrouve l’esthétique dans certaines de ses mises en scène comme dans Richard II (1981) ou Henri IV (1984) de Shakespeare.

Retour vers le Japon donc et c’est effectivement splendide, un émerveillement qui malheureusement va s’amenuiser au fil des minutes. Non pas que l’inspiration esthétique ne soit plus là, au contraire, mais simplement parce que le support de cette esthétique ne tient pas la route. La fable – terme que récuse Hélène Cixous – est pourtant belle, qui concentre dans cette île d’or, qui répond au nom de Kanemu-Jima, l’entièreté du monde. Et c’est bien du monde, comme toujours au Soleil, dont il est question. Un monde jailli de l’imagination d’une femme – double d’Ariane ? – , souffrante et qui rêverait un festival de théâtre accueillant des troupes venues des quatre coins du monde ou plutôt, si l’on y regarde de plus près, de pays où la démocratie est en danger, soit quasi l’entièreté du monde… Bien sûr l’organisation d’un tel festival (quelle mise en abyme !) suscite, sur place, de fortes oppositions, notamment celle du maire décidé à torpiller l’organisation de la manifestation pour des raisons purement électoralistes. Même dans ce « paradis », les affaires (au sens péjoratif du terme) existent… À partir de là la troupe du Soleil fait feu de tout bois : formidable démonstration de tout son savoir-faire. Mais cette fois-ci la machine, et il s’agit bien d’une formidable machinerie, finit par tourner à vide. Mnouchkine use et abuse de cette imagerie dans la mesure où cette fois-ci il n’y a pas de soubassement de texte pour soutenir l’ensemble. Le texte, ici, devient pré-texte. La création collective a été, comme souvent, réalisée « en harmonie » avec Hélène Cixous. On aurait vraiment aimé que l’écrivaine signe un véritable texte. Et, sur le plateau, entendre les comédiens rejeter les verbes en fin de chaque phrase pour épouser la structure de la langue japonaise devient pénible à force de répétition, et parfaitement artificiel. On se réfugie donc dans une multitude de changements de décors – réalisés à la perfection il est vrai – pour installer les différentes séquences qui ne durent parfois pas plus de quelques petites minutes… L’image, toujours l’image…