Une formidable machine à jouer

Jean-Pierre Han

9 novembre 2021

in Critiques

Grammaire des mammifères de William Pellier. Mise en scène de Jacques Vincey. Théâtre Olympia, CDN de Tours, jusqu’au 13 novembre à 20 heures (mardi, mercredi et vendredi), à 19 heures (lundi et jeudi), samedi à 16 heures. Puis du 1er au 4 décembre, au TNBordeaux-Aquitaine. Tél. : 02 47 64 50 50.

Il faut en premier lieu féliciter Jacques Vincey d’avoir exhumé Grammaire des mammifères de William Pellier. Exhumer est bien le terme, car depuis le temps de son écriture et de sa parution, en 2005, aucun metteur en scène, hormis Thierry Bordereau, ne s’y est vraiment investi. Il faut dire que le texte ne répondant à aucun des critères convenus propres à rassurer artistes bien assis (au sens rimbaldien du terme) et spectateurs, a de quoi intimider. Les bonnes fées avaient pourtant guidé les premiers pas de l’enfant, avec l’association Beaumarchais-SACD qui avait accordé à l’auteur une bourse d’écriture, avant que le texte ne reçoive l’aide à la création de la DMDTS… Mais que nenni… Grammaire des mammifères que les férus de littérature dramatique connaissaient et appréciaient restait désespérément dans un fond de tiroir, ce qui est bien dommage si on consent à considérer l’objet (un ovni théâtral pour ceux qui veulent absolument définir les choses) pour le moins étrange, ce que confirme son auteur dans la très explicative postface qu’il a bien voulu écrire pour la dernière édition de son texte (à Espace 34). Ainsi, dit-il savamment : « À première vue, la Grammaire forme un bloc impénétrable, mais elle cache en réalité un labyrinthe où circulent une multitude d’histoires. Cette masse verbale constitue un réservoir de jeux. Les répliques ne sont pas distribuées, pour laisser libre la circulation des mots. Comme dans les jeux de ballon, on se passe la parole, on se la jette, on l’attrape ou on la laisse échapper ». On ne saurait être plus clair, d’autant que William Pellier poursuit son explication (allant jusqu’à évoquer la linguistique et Roman Jakobson, l’un des maîtres en la matière) dont on laissera au lecteur la primeur de la découvrir par lui-même si d’aventure il cherche à mieux éclairer sa lanterne. En somme, et voilà qui met les choses au point, William Pellier n’est pas un doux farfelu, mais quelqu’un de très sérieux qui travaille la matière scripturale pour mieux approcher le mystère du théâtre, car la visée est bien finalement celle-là : elle se passe sur le plateau. C’est justement là que Jacques Vincent intervient avec son équipe et son groupe de jeunes acteurs (cinq filles et trois garçons qui pour être jeunes n’en ont pas moins une certaine expérience de la scène) qu’il qualifie de meute. De la meute, le groupe, en a bien l’une des caractéristiques : elle est affamée, entend croquer la vie à belles dents, autrement dit croquer le texte, dans toutes ses nombreuses formulations, et même dans ses non formulations. Car Grammaire des mammifères est avant tout une formidable machine à jouer, une machine au mille éclats. C’est ce qu’a compris Jacques Vincey qui lance ses comédiens sur le plateau après que ceux-ci aient décliné leur identité et leur généalogie dans le hall du théâtre en faisant un certain nombre de serments dont celui-ci : « Je reconnais que je suis ici pour servir l’œuvre/non-pour-m’en-servir-et-me-faire-valoir car je ne vaux pas grand chose/non je ne vaux pas grand chose/car elle survivra tandis que je serai mort. Je jure j’le jure ». Serments faits en chœur, les huit comédiens s’en iront envahir la scène savamment aménagée par Mathieu Lorry-Dupuy. Commence alors, avec une rare et joyeuse énergie – chorégraphie de Thomas Lebrun – le montage/démontage de la machine textuelle qui laisse même la place à chaque membre du collectif de parfois jouer sa partition personnelle… Même s’ils sont nombreux, il ne serait pas juste de ne pas tous les citer : Alexandra Blajovici, Garance Degos, Marie Depoorter, Cécile Feuillet, Romain Guy, Hugo Kuchel, Tamara Lipszyc et Nans Mérieux, tous issus de l’ensemble artistique du Théâtre Olympia. Le spectacle déménage et rend justice à la très belle et efficace machine textuelle de William Pellier que l'on est heureux de retrouver.