Le vrai et le faux

Jean-Pierre Han

16 septembre 2021

in Critiques

Catch ! Mise en scène de Clément Poirée. Théâtre de la Tempête, jusqu’au 17 octobre à 20 heures.

Tél. : 01 43 28 36 36. www. la-tempête.fr

C’était en 1968, Jean-Louis Barrault, avait fait les frais de l’occupation du théâtre de l’Odéon qu’il dirigeait et avait donc été contraint de démissionner. Il avait trouvé refuge à l’Élysée-Montmartre, le temple du catch racheté et dirigé par Roger Delaporte, un catcheur célèbre, parfait parangon du méchant dans la mythologie de ce sport très particulier. Sur le ring métamorphosé en scène Jean-Louis Barrault avait offert un formidable Rabelais, bénéficiant du précieux concours de Roger Delaporte.

Au théâtre de la Tempête c’est l’inverse qui se produit et c’est bien une salle de théâtre qui est transformée en salle de catch. Ainsi l’a voulu le maître des lieux, Clément Poirée, qui n’a pas lésiné pour recréer l’ambiance de ces vieilles salles populaires avec distribution de pop corn, boissons autorisées et même conseillées, couple (ou duo) d’ambianceurs doublés de commentateurs, sono ad hoc, costumes flashy forcément du plus mauvais goût portés par une pléiade de mauvais garçons (et de mauvaises filles) répondant aux doux noms de Misandra, Kapitaal, Melancholia, Kassnoisette, Stronzo junior, Battery pork, et on en passe… avec promesse de duels serrés, sanglants, impitoyables aux titres flamboyants : le « Sacrificateur vs Le grand esprit des animaux » ou « Kassnoisette vs Priapico »… de quoi avoir l’eau à la bouche ! Tout est donc réunis pour que la soirée de plus de trois heures quand même réponde à toutes les promesses que le simple énoncé du titre Catch ! aura fait naître. Surtout si l’on ajoute encore que la matière textuelle est fournie par des « spécialistes » dont on connaît le savoir-faire et le talent : Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Hakim Bah, Sylvain Levey et Anne Sibran. Matière bien sûr prise en charge par des acteurs que l’on apprécie tout autant que les auteurs, Bruno Blairet, Joseph Fourez, Thibault Lacroix, Fanny Sintès…

Pourtant la machine (théâtrale) semble tourner à vide. Sans doute n’est-il pas aisé d’œuvrer dans la simulation d’une soirée de catch, alors que le catch n’est aussi que simulation théâtrale avec des codes très précis... Théâtre dans le théâtre, simulation sur simulation, la mise en abîme devient ici vertigineuse et… redondante. Jouer le rôle de catcheurs qui eux-mêmes jouent des rôles bien définis avec leurs règles n’est guère évident. Roger Delaporte était un vrai professionnel de l’art (du catch). Des professionnels de théâtre essayent de l’imiter. En vain. Piégés, ils se perdent. Ne renvoyons pas à l’article de Roland Barthes sur le catch (dans Mythologies), ce serait injuste et cruel, mais ajoutons que dans le déploiement tumultueux de la soirée, il devient presqu’impossible d’entendre les textes. On ne peut que le regretter.