Portrait(s) de femme(s)

Jean-Pierre Han

22 juillet 2021

in Critiques

Une femme en pièces de Kata Wéber. Mise en scène Kornel Mundruczo. Festival d’Avignon. Gymnase du lycée Aubanel, jusqu’u 25 juillet à 18 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival@festival-avignon.com

Il aura fallu attendre longtemps – la fin de la deuxième semaine – pour que ce lénifiant 75e Festival d’Avignon se réveille enfin. Voilà qui est fait, et bien fait, par la grâce d’un spectacle qui connut un grand succès dès sa création en Pologne en 2018 au TR Warszawa, avant en toute logique de connaître un même succès un fois filmé et diffusé sur Netflix. Avec toujours le même duo hongrois de créateurs aux manettes : Kata Wéber autrice de la pièce, puis scénariste, et son complice et compagnon Kornel Mundruczo, metteur en scène puis réalisateur. C’est donc la version théâtrale d’origine, avec sa distribution polonaise (et quelle distribution : ils sont tous admirables !), qui nous est proposée avec cependant un détour par le cinéma. Ainsi le spectacle s’ouvre sur une séquence filmique de près de trente-cinq minutes, une description réalisée au plus près du visage et du corps d’une jeune femme dans les affres de l’accouchement : long, très long moment – un long plan-séquence – volontairement difficile à supporter pour aboutir à la mort de son enfant. Une séquence à trois personnages, puisque le père est présent qui montre toute sa balourdise : il est totalement à côté de la plaque, et une sage-femme dont c’est le premier accouchement… On reste tétanisé !

Commence alors un changement complet de décor opéré à vue d’œil et dans le jeu de la trame dramatique. Le deuxième acte, purement théâtral celui-là, peut commencer dans ce nouveau décor on ne peut plus réaliste comme dans les meilleurs films avec son salon au centre de la scène et de part et d’autre la cuisine et la salle de bain, le tout dans la même continuité visuelle. Place est ainsi faite aux protagonistes de ce repas de famille qui ne commencera jamais vraiment : la mère et ses deux filles affublées de maris plutôt portés sur la boisson et ne songeant qu’à s’aviner, ce quintette étant accompagné par une cousine… Cela bouge beaucoup, d’un espace à un autre (et même hors champs), les relations entre les personnages, notamment entre les deux sœurs, savamment disséquées, jusqu’à ce qu’enfin soient dévoilés les véritables motifs de la présence de l’une des filles, Maja, celle-là même qui a subi le traumatisme de la perte de son enfant six mois auparavant. La jeune femme affirme haut et fort sa volonté – c’est une véritable revendication –, pour enfin pouvoir faire son deuil en toute liberté, de ne pas porter plainte comme tout le monde l’y incite contre la sage-femme qui l’a accouchée.

Il aura fallu attendre un long temps avant que l’on en arrive à ce dénouement. Le spectacle ne manque pas de défauts, mais on passera outre tout simplement peut-être parce que l’on assiste ici à un travail d’acteurs hors pair. Avec, tout particulièrement, Justyna Wasilewska qui donne au rôle de Maja toute sa grâce, sa sensualité liées à une farouche détermination, regard posé sur son entourage et le monde qui l’entoure avec une sorte de détachement proche d’une ironie qui n’est que la mise à distance de la douleur de sa condition. C’est toute la distribution qui est de cette couleur.