Un spectacle hors des sentiers battus

Jean-Pierre Han

17 juillet 2021

in Critiques

Visions d’Eskandar, texte et mise en scène de Samuel Gallet. Festival d’Avignon off. 11.Avignon, à 11 heures 40. Tél. : 04 84 52 20 10.

Le nom d’Eskandar, qui sonne bien il est vrai, semble hanter son « inventeur », Samuel Gallet, qui a conçu un triptyque autour de cette appellation. Visions d’Eskandar est le deuxième volet de cette œuvre commencée avec La bataille d’Eskandar. Mieux, depuis 2015 c’est tout un collectif qui vit et agit sous cette dénomination d’Eskandar. Un collectif qui entend œuvrer « à la frontière entre théâtre et poésie, politique et onirisme, réel et surréel ». Vaste et ambitieux programme que réalise effectivement presqu’à la lettre Samuel Gallet. Mais paradoxalement aussi bien dans la Bataille que dans les Visions on navigue « paisiblement » d’un registre à l’autre, sans heurt, de manière presque naturelle. Car, et c’est sans doute l’une des qualités premières des spectacles de Samuel Gallet, ils sont d’une extrême cohérence, de l’écriture à la mise en scène, de l’interprétation à la réalisation musicale de l’ensemble. On retrouve bien de manière tangible ces qualités dans Visions d’Eskandar qui prend le prétexte de plonger le personnage principal, un architecte hanté lui aussi par la ville d’Eskandar, dans un coma profond à la suite d’un malaise cardiaque pour s’en aller fouailler ce qu’il y a de plus profondément enfoui au fond de sa conscience et de son imagination. Les espaces du dedans, c’est bien connu, sont infinis., même s’ils s’enracinent autour de la ville (de la cité ?) d’Eskandar. C’est néanmoins un paysage de ruines – celles de notre monde en butte à toutes les catastrophes – qui surgit. Autour de l’architecte d’autres personnages, la caissière de la piscine municipale, un amnésique… entrent dans l’étrange et triste ronde dans la discrète scénographie de Magali Murbach qui a le mérite de laisser toute liberté de manœuvre aux comédiens et aux musiciens.

Les interprètes, Jean-Christophe Laurier, l’architecte, Caroline Gonin, la caissière de la piscine, Pierre Morice, l’amnésique, accompagnés et soutenus musicalement par Mathieu Goulin et Aëla Gourvennec, sont tous d’une réelle justesse, donnant corps et âme à la belle écriture de Samuel Gallet. La petite musique de l’écriture et du travail de l’auteur-metteur en scène (et interprète dans la Bataille) est discrète et refuse le bruit et la fureur habituels, et souvent creux voire insincères, des productions qui se veulent en prise avec leur temps. On ne l’en apprécie que mieux.