Sublime trio

Jean-Pierre Han

16 juillet 2021

in Critiques

Les Présidentes de Werner Schwab. Mise en scène de Laurent Fréchuret. Festival d'Avignon off. 11. Avignon à 20 heures 40. Tél. 04 84 52 20 10.

Ouragan ravageur de la fin du XXe siècle, le plasticien et auteur dramatique Werner Schwab portait à son pays natal, l’Autriche, le même amour que ses compatriotes Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek. Un amour enraciné autour d’une extrême attention de leurs travers. Témoins les specimens qu’il nous livre en pâture, soit ici trois femmes, les bien-nommées « Présidentes », trois petites bourgeoises engoncées dans la médiocrité de leur vie quotidienne, si on peut encore parler de vie dès lors qu’il ne s’agit que d’une suite de ressassements de frustrations, de délires obsessionnels, chacune dans son registre très particulier. La médiocrité malsaine portée à ce point d’incandescence, on finit presque par toucher du doigt – ô paradoxe – le sublime ! Elles sont donc trois, comme dans les Bonnes de Genet, pour en arriver au même acte, soit un meurtre dans toute sa furieuse abjection.

Ce n’est pas un hasard si la tragédie (c’en devient une) commence par l’écoute des trois femmes d’un discours du pape Jean-Paul II, avant que, télé fermée dont les images que le spectateur de voit pas mais qui se reflète en grand sur le visage et le corps des intéressées, elles se mettent à jouer leur monstrueuse partition. Monstrueuse partition qui oscille entre solos et entrecroisements de voix et même affrontement des corps. Il fallait à tout le moins une excellent chef d’orchestre (metteur en scène) pour mener à bien cette œuvre musicale. Il s’agit de Laurent Fréchuret qui avec son Théâtre de l’Incendie a très vite annoncé la couleur de son travail. Son premier mérite est d’avoir réuni trois interprètes dont le seul énoncé des noms met l’eau à la bouche : Mireille Herbstmeyer (Erna), dont l’obsession de l’économie va jusqu’à compter les feuilles de papier toilette, obsédée par le charcutier Wottila dont le premier mérite aura été de lui vendre du pâté de foie bon marché,elle est affublée d’un fils alcoolique. Flore Lefebvre des Noëttes (Greta) en obsédée et frustrée du sexe, avec ses tenues moulantes et transparentes et dont la fille a préféré fuir en Australie. Laurence Vielle (Marie), une illuminée, spécialiste du débouchage à mains nues des toilettes, activité qu’elle exerce comme un sacerdoce. Une incroyable et très jouissive distribution, dans l’économie de l’écriture de Schwab à laquelle répond admirablement la distribution et la direction d’actrices de Laurent Fréchuret. Ce qu’elles réalisent est proprement incroyable dans une rigueur de tous les instants. Il faudrait des pages pour décrire leur travail…