Un entre-deux peu probant

Jean-Pierre Han

11 juillet 2021

in Critiques

Entre chien et loup d’après Lars von Trier. Mise en scène de Christiane Jatahy. Festival d’Avignon, L’autre scène du Grand Avignon à Vedène. Jusqu’au 12 juillet à 15 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival@festival-avignon.com

Les adaptations de films au théâtre, comme celles de romans, sont désormais choses courantes. Le phénomène ne cesse même de prendre de l’ampleur, et bien évidemment ceux qui font usage de cette pratique trouveront toujours les meilleures raisons du monde pour se justifier, alors qu’à l’opposé il sera toujours facile de stigmatiser le manque d’imagination des intéressés ou simplement leur manque de connaissance de la littérature théâtrale. Le débat n’est pas près de s’achever : on constatera simplement que les films choisis ont tous peu ou prou marqué l’histoire du cinéma : est-ce une assurance pour un nouveau succès, théâtral cette fois-ci ? L’autre constatation que l’on pourra également faire, c’est que dans cette histoire c’est simplement l’auteur dramatique qui disparaît : faut-il élever l’adaptateur au rang d’écrivain de théâtre ?

Le mouvement s’inscrit aussi dans la dynamique actuelle qui veut que la plupart des metteurs en scène s’intéressent davantage et se tournent plus volontiers vers le cinéma auquel ils font donc référence que vers les arts de la scène. Dans le cas de Christiane Jatahy décidée à adapter à la scène le Dogville de Lars von Trier, il est plutôt plaisant de constater que dans ce film le réalisateur danois s’en va vers une authentique théâtralisation de son œuvre. Or dans le cas de la metteure en scène brésilienne il s’agit dans un premier temps de tirer le film vers le théâtre, puis de s’en retourner vers le cinéma, l’un alimentant l’autre. Surprenant parcours dont le risque est de ne satisfaire ni les amateurs de théâtre, ni ceux du cinéma, l’œuvre produite restant toujours dans un entre-deux.

Très plaisamment on constatera que le titre du spectacle présenté, Entre chien et loup, est, lui, d’une extraordinaire justesse. Où sommes-nous en effet dans cette création-adaptation ? Au cinéma, au théâtre ? Ou à la fois au théâtre et au cinéma ? Ou nulle part ? Malheureusement dans le cas du spectacle de Christiane Jatahy on aurait plutôt tendance à opter pour cette dernière solution. Non pas que ce qu’elle présente soit sans intérêt, ou mal réalisé. Mais il y a un réel problème en ce qui concerne la forme choisie. Le spectacle commence donc selon un procédé vieux comme le théâtre, celui du théâtre dans le théâtre, avec la comédienne principale, la brésilienne Julia Bernat, assise dans la salle parmi les spectateurs, interpellée et invitée à venir sur scène par l’un des comédiens, Matthieu Sampeur qui quelques instants auparavant aura « dialogué » avec le public, faisant une sorte d’explication de texte, et engageant le spectacle sur ses rails. On connaît le procédé du théâtre dans le théâtre, de la mise en abyme, usé jusqu’à la corde. Julia Bernat enfin sur scène commence la démonstration – puisque c’est bien de cela dont il s’agit : comment une étrangère est accueillie au sein d’une communauté pleine de bons sentiments mais fermée sur elle-même. Christiane Jatahy suit donc le fil du film en le transposant : au plateau quasiment nu proposé par Lars van Trier, nous avons un plateau bourré jusqu’à la gueule, un bric à brac dont on ne voit pas très bien l’utilité, sauf à faire dans un certain réalisme. Avec l’indispensable écran en fond de scène sur lequel seront projetés des séquences avec les mêmes personnages, mais parfois dans une autre configuration (le « dédoublement » décalé est intéressant). Tout cela s’agence cahin caha : réduction peu probante de ce que développait le film de Lars von Trier auquel on ne peut pas ne pas songer : c’est le risque de ce genre d’adaptation qui tombe dans l’appauvrissement de l’œuvre originale.