"La Mouette", énième version…

Jean-Pierre Han

27 juin 2021

in Critiques

La Mouette d’après Anton Tchekhov. Mise en scène de Cyril Teste. MC 93 Bobigny du 25 au 30 juin, puis tournée nationale à partir de la rentrée d’octobre 2021. Tél. : 01 41 60 72 72.

Spectacle vu le 10 juin 2021

Nous y voilà, enfin presque, et avec encore la peur au ventre que tout recommence comme dans les pires cauchemars. Nous y revoilà, jambes flageolantes, au moment où le printemps théâtral refleurissait avec le bien nommé Printemps des comédiens à Montpellier. Ce ne fut pas sans suspense, ordres et contre-ordres, annulations, reports, changements, etc. –, jusqu’au dernier jour où l’un des spectacles (de François Gremaud) fut supprimé pour cause de dépassement de l’heure du couvre-feux fixée à 23 heures ! Mais enfin voilà qui a été acté, avec une programmation raccourcie pour un festival commencé avec plus de 10 jours de retard et dans la pire des incertitudes. Un vrai casse-tête pour Jean Varéla le directeur, et toute son équipe qui s’en sont plutôt bien sortis : le festival a eu lieu et c’était bien là l’essentiel. Il n’était en effet pas question pour eux de subir une deuxième annulation de la manifestation (après celle de l’année dernière). Bien leur en a pris. On pouvait en outre considérer que ce Printemps avait valeur de test pour le festival d’Avignon qui débute en juillet.

On passera sur le nécessaire et délicat équilibre de la programmation toujours remis en cause en raison des événements. Et l’on a fini par se retrouver devant le spectacle phare d’ouverture : une adaptation de la Mouette de Tchekhov réalisée par un metteur en scène qui, incontestablement, occupe une place particulière dans le paysage théâtral de l’Hexagone, Cyril Teste. Intéressant puisqu’il mettait en présence un classique (Tchekhov encore et toujours : on le retrouvera même dans la Cour d’honneur du palais des papes à Avignon grâce au metteur en scène portugais, Tiago Rodrigues) avec un artiste toujours en recherche de novation depuis quasiment ses débuts en 2000 avec Alice underground d'après Lewis Carroll. Les fameuses formes nouvelles prônées par Tchekhov prenant tournure justement.

Est-ce cette fois-ci encore un coup gagnant pour Cyril Teste qui très vite dans sa carrière a créé le collectif MxM réunissant comédiens, créateur lumière, vidéaste et musicien, ce qui dit long sur ses intentions qu’il a mises en pratique, créant et affirmant avec ses compagnons un style reconnaissable – et reconnu – entre tous. Tout est parfait dans cette Mouette, énième version (et dieu sait s’il y en a eu !). De la mise en scène, avec la direction d’acteurs, la gestion de l’espace (scénographie de Valérie Grall), l’univers sonore et musical (Thibault Lamy, Nihil Bordures), à la création vidéo (Mehdi Toutain-Lopez)… Pardon de ne pas citer les autres postes qui contribuent à la réussite de l’ensemble…

La Mouette donc, mais quelle Mouette ? Cyril Teste a réalisé son adaptation à partir de la traduction d’Olivier Cadiot. Une refonte de l’œuvre de Tchekhov dont il ne garde que ce qui sert son propos qui met davantage en exergue des histoires de vie plus individuelles que dans la pièce elle-même. Il délaisse dès lors quelque peu l’aspect « choral » de Tchekhov (la vie familiale élargie à des proches dans la propriété de Sorine, le frère aîné – un vieil homme ici – d’Arkadina, l’actrice qui concentre toutes les attentions), il s’attarde davantage sur des personnages saisis dans leur singularité que le fait de filmer les visages en gros plan ne fait qu’accentuer.

Au vrai voilà une manière comme une autre d’aller à la rencontre de l’auteur, par plans successifs. Car c’est avant tout à l’homme Tchekhov auquel s’intéresse Cyril Teste, et c’est une sorte de portrait qu’il dessine, piochant donc quelques scènes dans la pièce, ajoutant des textes tirés d’autres œuvres de l’auteur, n’hésitant pas à superposer différentes formes d’écritures pour tenter d’approcher le cœur du sujet. Rien que de très légitime (et de parfois réussi). Cela soulève tout de même une question en forme de paradoxe : alors qu’il entend dresser le portrait de Tchekhov, le voilà qui s’intéresse de plus près au destin de certains autres personnages, prolongeant ce que Tchekhov ne fait qu’esquisser dans sa pièce : ainsi de Macha et de son instituteur de mari, au demeurant peu aimé, ainsi même – c’est sans doute plus justifié – du « couple » formé par Treplev, le fils d’Arkadina, adepte de la « modernité », les fameuses formes nouvelles, et par Nina, la mouette… Mais plus que jamais ce sont des figures séparées qui sont mises en exergue, sentiment souligné, je l’ai dit, par l’usage de la vidéo cadrant essentiellement les visages des protagonistes. Comme si les émotions ne pouvaient passer par les corps… On s’interroge… Alors qu’un montage des images, dans des compositions savantes qui ne s’interdisent pas de se superposer, est réalisé tout au long du spectacle, comme dans une dynamique parallèle à la trame initiale, finissant par manger toute la scène et capter notre attention au détriment d’éléments théâtraux plus subtils. Emportés dans le mouvement (de caméra ?) nous suivons les comédiens emmenés avec une belle autorité électrique par Olivia Corsini (Arkadina), les autres, Vincent Berger, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly, Pierre Timaitre et Gérard Weigand, avec leurs particularités aussi bien psychique que physique embrayent le pas avec une belle détermination (la direction d’acteur de Cyril Teste est efficace), se prêtant docilement au jeu du metteur en scène-réalisateur.

Une entrée en matière intéressante en ce qu’elle pose nombre de questions sur la simple réalité théâtrale.