Algérie-France aller-retour

Jean-Pierre Han

5 février 2021

in Critiques

Ulysse de Taourirt d'Abdelwahed Sefsaf. Mise en scène et interprétation de l'auteur. Spectacle vu le 28 janvier 2021 au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon lors d'une représentation destinée uniquement à la presse et aux professionnels.

Le titre du dernier spectacle d’Abdelwahed Sefsaf – Ulysse (de Taourirt) – élève son histoire personnelle au rang d’un mythe, ce qui est pour le moins osé et ambitieux, mais s’entend parfaitement dès l’instant où l’auteur entend rendre ainsi hommage à son père. Reste que c’est bien de son autobiographie intime dans ses premières années, qu’il s’agit. Rien là de bien surprenant pour peu que l’on connaisse un tant soit peu quelques-unes de ses productions. D’ailleurs cet Ulysse de Taourirt fait suite – c’est le deuxième volet du diptyque – de Si loin Si proche proposé avec succès il y a un peu plus de trois ans. En peu d’années, à partir de ce qu’il appelle son « Matériau-vie », Abdelwahed Sefsaf affermit, non pas forcément son propos à qui il donne libre cours – et c’est bien ce qui fait son charme et son efficacité – mais sa résolution scénique avec ses camarades-musiciens de plateau. Il y a sous des dehors de totale liberté, une réelle et belle rigueur.

Ulysse de Taourirt 2 - Crédits Ra2

Photo : © Ra2

Retour donc, pas forcément de manière chronologique car espace et temps se chevauchent, à des épisodes biographiques de l’auteur-metteur en scène-interprète (avec Marion Guerrero qu’il ne faut surtout pas oublier et qui co-signe également le travail de dramaturgie). Le tout dans une très apparente simplicité, car Sefsaf se défie de toute « emphase ou pathos » comme annoncé. Ce qui est la stricte vérité, mais il faut immédiatement ajouter que ce récit qui remonte loin dans le temps (des années de jeunesse de la mère, par exemple), s’il est linéaire, n’en reste pas moins savamment tressé, et dégage une très forte émotion. Une émotion d’autant plus forte que l’histoire de cette famille venue s’installer en France dans la pire des précarités dévoile des pans entiers de l’histoire sociale et politique du pays dans les années 70-80, du côté de Saint-Étienne où le père a trouvé du travail. Soit le récit d’une adolescence à l’autre, celle du père dans Si loin Si proche à celle de l’auteur cette fois-ci. Abdelwahed Sefsaf peut aisément se défier de l’emphase et du pathos ; sa personnalité hors pair le lui autorise. Corps profondément ancré sur la scène qu’il parcourt en trois pas cadencés, et voix chaude à l’accent particulier qui se mue très rapidement en rythmes sonores, emportent l’adhésion. Il y a là une matière éminemment vivante que la musique exécutée par Nestor Kéa, Antony Gatta et Malik Richeux, sous la direction de Georges Baux, modèle avec savoir-faire dans l’astucieux décor à transformation de Souad Sefsaf et Lian Djellalil. C’est de la belle ouvrage qui a la pudeur d’en dire beaucoup plus qu’elle n’en a l’air.