Captivant "Hamlet", captivante Anne Alvaro

Jean-Pierre Han

14 janvier 2021

in Critiques

Hamlet de Shakespeare, traduit et mis en scène de Gérard Watkins.

Présentation professionnelle vue au T.N.B.A., à Bordeaux, le 7 janvier 2021.

Tournée sous réserve : Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, du 4 au 14 février et Comédie de Caen, les 21 et 22 avril.

Hamlet_©Pierre_Planchenault (6) ©Pierre_Planchenault

C’est un Hamlet très singulier que nous propose Gérard Watkins. On pourra toujours rétorquer que c’est là une lapalissade et que chaque mise en scène d’une pièce de théâtre, et tout particulièrement celle de cet énigmatique Hamlet, est forcément singulière, comme est singulière chacune des traductions des œuvres de Shakespeare, et qu’entre les unes et les autres c’est parfois le grand écart. Gérard Watkins, lui, cumule les deux fonctions de traducteur et de metteur en scène ; il en ajoute même une troisième qui est celle du jeu puisqu’il interprète le rôle du roi Claudius. Il le fait d’une manière qui donne peut-être les clés de sa vision de l’œuvre, même s’il n’est pas le personnage principal. Autant dire qu’il est à tous les postes de commande pour mener à bien son entreprise. Déjà sa traduction (et non pas adaptation, doit-on comprendre) pour être fidèle, à quelques écarts près – notamment dans l’acte IV, et à la fin de la pièce avec la disparition du personnage de Fortinbras, le roi de Norvège –, ne porte pas moins sa marque de fabrique et renseigne sur ses intentions comme il l’annonce clairement : « J’ai pu y développer et y inscrire mes interrogations », « ce qui me tenait à cœur […] était de réaliser un travail sur l’écriture, fondé sur ce que je ressentais à la lecture du texte anglais »… On ne saurait être plus clair et, en d’autres termes, des éléments de mise en scène apparaissent déjà dans sa traduction qui modernise la langue. On ne s’en étonnera guère sachant que Gérard Watkins est également auteur dramatique, c’est d’ailleurs la première fois qu’il met scène une œuvre qui n’est pas signée de sa main.

Le metteur en scène, lui, a fait un choix de distribution fort et juste. Que ce soit une femme, Anne Alvaro, qui tienne le rôle titre, n’est en soi ni une nouveauté (Sarah Bernhard a jadis interprété ce rôle, et quelques autres grandes actrices après elle), ni d’une audace forcenée. Il se trouve simplement que dans ce cas précis, Anne Alvaro réalise un portrait du personnage d’Hamlet, avec un art consommé dans l’apparente simplicité, dans sa manière d’intérioriser sa relation au monde, jusqu’à s’en détacher, d’une admirable subtilité. Sa mélancolie diffuse sur tout le spectacle qui trouve le même et immuable écrin scénographique de couleur sombre, signé François Gauthier-Lafaye, avec sa partie bar d’hôtel et ses hauts tabourets et son côté salon vieille époque avec ses vieux canapés, son voilage de fond de scène, alors que l’avant-scène est recouverte de terre.

Le reste de la distribution, dans le sillage de Hamlet, est au diapason, et a beau s’agiter (ce qui nous vaut des scènes qui tirent vers le comique), il navigue dans le sillon de la folie. Dans ce registre particulier et délicat Gérard Watkins excelle, tout comme Fabien Orcier dans le rôle de Polonius, alors que Julie Denisse (Gertrude) en fait un peu trop, démontrant qu’il y a un équilibre à trouver entre les différents registres de jeu proposés sur le plateau. Ce que tentent (et réussissent pour la plupart d’entre eux) les autres comédiens comme Solene Arbel, la jeune Ophélie, ou Gaël Baron (Horatio), avec mention spéciale pour Mama Bouras promue fantôme du roi pour l’occasion.

Si la lecture d’Hamlet par Gérard Watkins s’avère cohérente, et elle l’est en grande partie, nous captivant de bout en bout, elle le doit incontestablement à la présence d’Anne Alvaro que Gérard Watkins a choisi, semble-t-il, « spontanément », un peu comme Peter Zadek, il y a une vingtaine d’années avait choisi « spontanément » Angela Winkler pour le même rôle avant de se rendre compte que c’était une femme ! Du grand art.