Théâtre du Blog. 25 août 2020.

Frictions

21 décembre 2020

in Revue de presse

Article publié sur Théâtre du Blog

Revue Frictions n° 32

 Covid ou pas covid, ce nouveau numéro est d’une aussi belle qualité picturale et textuelle que les précédents. Avec d’abord  un montage que n’aurait pas renié un graphiste comme Roman Cieslewicz et où on voit Mussolini le poing droit levé, avec à l’arrière-plan, une photo de manifestation où une jeune femme brandit un carton avec ces seuls mots: Black lives matter. Juste en dessous de Benito Mussolini, un Donald Trump, le visage et les mains aussi jaunes que son visage crispé. Et visiblement très en colère, brandissant son poing droit. Et sur la page de gauche, la fameuse phrase de Bertolt Brecht en 1941 : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. » Et illustrant l’éditorial de Jean-Pierre Han, un fragment de  la non moins fameuse fresque de Michel-Ange où un Dieu barbu touche du doigt un homme nu mais qui, ici, porte un masque anti coronavirus. Entre ces deux illustrations, une photo d’un troupeau de moutons en noir et blanc avec, en encadré, celle d’une tête de mouton écorchée et sanguinolente. Et sur la page de gauche, un court texte (1888) d’Octave Mirbeau, sur l’électeur « plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutonniers, qui nomme son boucher et choisit son bourgeois. »

En trois fortes images, tout est dit ou presque de la situation actuelle. Dans un remarquable édito, Jean-Pierre Han dénonce entre autres l’incontournable vidéo qui a tant sévi ces derniers temps.  François Le Pilllouer, l’ancien directeur du Théâtre national de Bretagne, se méfiait terriblement, il y a déjà quelque trente ans, de celles que les compagnies lui envoyaient à l’appui d’une proposition de spectacle… Réalisées avec quelques extraits trop bien filmés et ne correspondant  jamais à la réalité, ou mal filmées donc finalement nuisibles au  développement du projet , dans un cas comme dans l’autre, ces vidéos ne reflétaient en rien l’exacte qualité de la proposition théâtrale. Pour Jean-Pierre Han, le « piège de la captation est un véritable révélateur de ce qui ne devrait jamais l’être, la mort saisissant le vif. » « Nous n’aurons jamais eu, ajoute le rédacteur en chef de Frictions, que des squelettes de spectacle, ce qui, au bout du compte, n’est pas très charitable par ces temps d’épidémie. Pour les autres actions, ce fut un déferlement à nul autre pareil, une débauche d’imagination plus ou moins pertinente, mais enfin l’essentiel était dans le geste, semble-t-il, histoire de s’étourdir. »

Effectivement nous avons été submergés pendant le confinement et après, de vidéos de soi-disant spectacles tournés en appartement avec un ou deux acteurs maximum ou de captations de réalisations présentées dans des jardins ou des cours intérieures dont l’entrée était gratuite. Bien entendu, rien de très intéressant là-dedans à quelques exceptions près comme ce cabaret monté par Léna Bréban devant l’Ephad de Chalon-sur-Saône. Comme si les compagnies tenaient absolument à combler le vide actuel et à montrer à leurs clients (pardon : à leur spectateurs !) qu’elles existaient bien encore et qu’il ne fallait surtout pas les oublier…

Ce numéro s‘ouvre sur un clin d’œil : un texte court mais étonnant d’Heiner Müller: Guerre des virus. C’était un projet de dernière scène de Germania 3-Les spectres du Mort Homme qui n’avait pas été retenue dans l’édition de 1996 à l’Arche, un an après le décès de l’auteur et représenté au Portugal dans une mise en scène de Jean Jourdeuil. Le texte avait été publié en 2001 dans la revue Théâtre/public: « Dieu n’est ni homme ni femme, c’est un virus. » Suit un article de Jean Lambert-wild, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique national de Limoges, « À la guerre comme à la guerre ». Il rappelle cette célèbre et très belle phrase d’Héraclite : « Les hommes dans leur sommeil travaillent fraternellement au devenir du monde » et  souligne les bienfaits d’une sieste d’une heure trente selon Winston Churchill. Jean Lambert-wild a une  réflexion lucide sur la guerre qui, dit-il, de par sa nature destructrice, peut nous convaincre que nous pouvons, pour un temps, faire l’impasse de notre conscience en brouillant généreusement les lois de tous et les devoirs de chacun.

Nous ne pouvons citer tous les articles de ce riche numéro mais il y a une belle réflexion  sur la mise en espace/mise en scène de Thierry Besche, artiste assembleur de son, cofondateur et ancien directeur du Centre national de création musicale d’Albi. L’auteur analyse en particulier de façon très perspicace les rapports d’interdépendance entre son, lumière, image, texte et jeu des acteurs dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink, mis en scène de Julie Duclos et Sous d’autres cieux de Kevin Keiss d’après Virgile, mis en scène de Maëlle Poésy. Signalons aussi un beau portfolio de photos et textes de Tristan Jeanne-Valès sur des hommes (tiens, aucune femme ?) entre autres : Christophe Tarkos, Raoul Vaneignem, Marcle Hanoun, Jean-Jacques Lebel…

Philippe du Vignal

 Frictions . 27 rue Beaunier, 75014 Paris. frictions@revue-frictions.net T. : 01 45 43 48 95. Le n°: 15 €. Les sommaires détaillés de tous les numéros parus sont consultables sur : www.revue.frictions.net