Simplement jouer Molière, et le faire bien.

Camille Khoury

11 octobre 2020

in Critiques

Poquelin II, par le Tg STAN.

Spectacle donné au Théâtre Garonne à Toulouse en octobre, puis tournée à Tarbes, Aix-en-Provence, Bruxelles, Besançon, Lorient, etc.

Près de vingt ans après Poquelin, spectacle composé à partir des œuvres de Molière, les Tg Stan (Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Frank Vercruyssen), accompagnés de Stijn Van Opstal, Bert Haelvoet, Els Dottermans et Willy Thomas, reprennent leur exploration ludique de la comédie classique avec L’Avare et Le Bourgeois gentilhomme. Créé en 2017, le spectacle a déjà tourné en Flandres et aux Pays-Bas, et continue aujourd’hui sa route en version française. On se demande bien pourquoi le texte de présentation du Théâtre Garonne annonce à mots couverts une hybridation des deux pièces, qui sont pourtant simplement enchaînées l’une après l’autre, avec seulement de légères coupes. On nous annonce également que le spectacle est « politique » – argument de vente à la mode, où tout artiste est sommé de se dire politique, mais pas trop malgré tout. Bien sûr, certaines répliques conduisent, comme souvent, à établir des liens avec l’actualité, mais le geste de mise en scène est loin d’être une réactualisation des classiques dans un théâtre à thèse. On assiste à deux mises en scène efficaces, puissamment drôles, qui ravivent le théâtre de tréteaux, de la foire et de la convention.

Outre le jeu, d’une finesse comique qui ne rate jamais sa cible, un jeu presque brechtien, comme outré au second degré, distancié et présent, un élément est particulièrement réussi : les costumes. Ceux-ci sont particulièrement beaux, mais pas seulement. En 1955, Roland Barthes écrivait dans Théâtre Populaire : « Le costume n'est rien de plus que le second terme d'un rapport qui doit à tout instant joindre le sens de l'œuvre à son extériorité ». C’est ce que font les costumes dans Poquelin II. Conçues par Inge Büscher, les matières, les formes, les coupes et les superpositions des costumes sont d’une profondeur sémantique rare. Extrêmement contemporains, ils présentent pourtant des rappels d’époque (des bottines à talons rappellent les souliers Louis XIV ; un legging, les collants des hautes classes sociales). Ils composent un univers visuel dense, jouant sur la juxtaposition (tissus fins et scotch), l’entre-deux, et l’hybridation. Un sweatshirt rouge, savamment rapiécé, devient une sorte de cape ; évocation subtile au costume d’époque, il dira aussi la jeunesse du personnage, l’avarice du père en même temps qu’un certain goût pour la mode. Le costume le plus marquant est le pantalon de Valère dans L’Avare, qui reste le costume du philosophe dans Le Bourgeois gentilhomme. Tout y est double, les matières, les couleurs, l’usure, à l’image d’un noble déguisé en valet, mais qui garde en lui les traces de sa naissance ; à l’image d’un ridicule philosophe, dont le costume pastiche la représentation que Boris Vian a de Jean-Paul Sartre, un bourgeois snob en costume élimé. Les costumes sont à l’image du décor, subtil mélange d’un théâtre de tréteau et d’un théâtre de plateau, théâtre utopique, présent et passé, où la densité du signe nourrit sans gêner l’intensité du jeu des comédiens.