Des personnages en quête d’auteur

Camille Khoury

2 octobre 2020

in Critiques

Une cérémonie – Le Raoul Collectif 

30 septembre 2020, Théâtre du Sorano, Toulouse. Tournée nationale et Théâtre de la Bastille à partir du 26 novembre, à 21 heures. Tél. : 01 43 57 42 14.

Ce mercredi 30 septembre au théâtre du Sorano à Toulouse, le Raoul Collectif (Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot), accompagnés des musiciens Philippe Orivel, Julien Courroye, Clément Demaria et de la comédienne Anne-Marie Loop, pouvait enfin faire partager leur Cérémonie. Une première sous le signe du défi, puisque la scénographie a dû être modifiée à cause du contexte sanitaire : prévue en tri-frontal, la pièce a finalement été jouée dans un dispositif frontal dans la salle avec balcon du Sorano.

On imagine aisément que le public était initialement convié à partager cette cérémonie sur le plateau : sur scène, des chaises de jardin qui attendent les convives, disposées devant quelques éléments de décor en fond de scène qui évoquent une loge d’acteur hybridée à un piano-bar. Au-dessus de cette guinguette, deux projecteurs éclairant le superbe squelette de métal et de bois d’un oiseau (préhistorique nous dit-on), créé par le scénographe Juul Dekker, et dont les ailes démesurées et mécaniques battent gracieusement.

La fête commence peu à peu, le schnaps coule à flots, la musique, les chansons et des discours commencent. Une cérémonie nous dit-on, mais pour célébrer quoi ? Au cours d’une série de toasts variés, déclamés debout sur les chaises/podium nous en informe peu à peu. On lève son verre au Théâtre, aux artistes affamés et pauvres, à la langue et à la poésie, au monde qui brûle, aux doutes, à la lâcheté de nos espoirs, on finit par mettre bout à bout les dizaines de références littéraires, politiques et d’actualité qui composent ces toasts. Derrière les citations de Don Quichotte, l’Odyssée, Antigone, des envolées lyrico-politique qui rappellent la prose du Comité invisible, aux incendies dans la forêt amazonienne, aux discours de Nicolas Sarkozy, au confinement, on comprend qu’on assiste à la cérémonie du désespoir de l’incapacité d’agir face à un monde qui se meure.

Pour contrer le mal, il faudrait de nouveaux récits. Mais quels récits transparaissent sur cette scène métathéâtrale et postdramatique où les personnages semblent n’être que le personnage de l’acteur (extrêmement proche de leurs précédents rôles dans Le Signal du promeneur), englués dans un réel présentiste auquel on fait constamment référence et dans les piliers de la littérature occidentale ? L’utopie lieu sur scène : on y voit huit hommes qui chantent, trinquent et partagent leurs doutes pendant que la seule femme, Anne-Marie Loop, pourtant excellente comédienne belge, erre sur le plateau, actrice en quête de personnage, à l’écart des charismatiques jeunes hommes qu’elle materne parfois, et qui en échange lui témoignent des gestes d’affection filiale. Le seul récit de la pièce est le bref mais poignant moment où est repris et réécrit Antigone, jugée pour avoir agi selon ce qui est juste plutôt que selon les lois, mais cette fois-ci, Brecht n’est pas loin, on change la fin, Antigone (jouée par Anne-Marie Loop), n’est pas seule derrière la poussière qui tourbillonne, une foule s’est réunie, qui soutient que la justice relève de l’action d’un peuple et non de la folie endeuillée d’un individu.

En accord avec les références esthétiques et le style de jeu, la cérémonie est un carnaval, un bref moment d’exutoire avant le retour à l’ordre, avant que la ligne ne se boucle, puisque le spectacle finit sur les mêmes répliques qui l’ont introduit. Cette cérémonie semble, malgré tout, une tentative de répondre esthétiquement à la question « que faire quand le monde s’effondre ? », par l'énergie brillante des acteurs, la magie et l’enchantement produits par des échappées foraines, des rituels et de très beaux intermèdes oniriques et musicaux, où sont convoqués des totems muets, hibou longeant un chemin de feuilles mortes, épouvantails boisés et centaures burlesques.