L'Humanité. 18 mai 2020.

Frictions

21 mai 2020

in Revue de presse

Un article de Jean-Pierre Léonardini sur le hors-série n° 9 de la revue Frictions.

La chronique théâtre de Jean-Pierre Léonardini.

Quand Frictions explore « l’oasis »

Le coronavirus nous pompe l’air. Parlons du numéro hors-série de la revue­ Frictions, animée par le critique Jean-Pierre Han, par ailleurs rédacteur en chef des Lettres françaises (1). La livraison s’intitule Siwa plateforme d’expérimentation. « Siwa », en arabe, signifie « l’oasis ». Textes en français et en arabe. On explore, à plusieurs voix, une passerelle artistique à vocation égalitaire née il y a douze ans, dans un but d’échange ­fraternel entre gens de théâtre et intellectuels français, d’autres appartenant à l’Irak mutilé et à la Tunisie, dans la ville sinistrée de ­Redeyef, haut lieu d’une vie syndicale intense, fer de lance de fières revendications nées de l’exploitation, dès 1903, des mines de phosphate. Ensemble passionnant, dans la mesure où l’on découvre une multitude d’éléments à méditer. François Tanguy, du Théâtre du Radeau, ­partie prenante dans l’aventure, affirme d’emblée : « Nos gestes ont rencontré les leurs. Leurs corps, leurs voix, leurs rythmes ont croisé les nôtres, pour inaugurer un espace et un temps où tout se réinvente. »

D’un blog anonyme, issu de Bagdad, jaillit ce cri : « Nous voulons, nous exigeons le réel –  de nos vies – qui valent après tout autant que vos ­marchés de dupes sur nos épaules, dos, pieds, mains écrabouillées dans votre suie… » La Franco-Tunisienne ­Yagoutha Belgacem, experte en mise en scène, à l’origine de Siwa, occupe à juste titre une place importante, ne serait-ce, entre autres, qu’avec son évocation des sites agissants qu’ont déjà été, en toute réciprocité, Paris, Amman en Jordanie, Oran, Bagdad, Besançon, Le Mans, Tunis et Redeyef. La philosophe Nadia Tazi, à partir de l’Orestie, passe au crible la notion de « catharsis » au regard de la pensée arabe. Le philosophe marocain Arafat Sadallah interroge l’acte de traduire, à propos du texte du poète irakien Khaz’al Madji, dont le Hamlet sans Hamlet a été monté à quatre mains par Michel Cerda et Haythem Abderrazzaq (Irak), lequel revient sur sa riche expérience sous le titre « Lecture de la différence ». Youssef Seddik, anthropologue et islamologue, spécialiste de la Grèce antique, ausculte « Eschyle chez les Arabes ». Marianne Dautrey, dans « La ligne d’une tentative… » définit le sens de la marche de Siwa. De superbes photographies escortent à point nommé ce concert de paroles fortes tellement neuves.

(1) Frictions, 160 pages, 15 euros. Théâtres-écritures, rédaction, abonnements : 27, rue Beaunier, 75014 Paris. Tél. : 01 45 43 48 95, frictions@revue-frictions.net, www.revue-frictions.net
Chronique disponible sur le site de L'Humanité