Dire, chanter et danser l'inexprimable

Jean-Pierre Han

1 mars 2020

in Critiques

Les derniers jours. Texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux. Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 22 mars, 21 heures. Tél. : 01 44 95 98 21

Que faire face à l’inéluctable ? Sombrer dans la plus profonde mélancolie ? Maudire l’humaine condition et se piquer une énième et vaine crise de révolte ? Plus sage, apparemment, Jean-Michel Rabeux opte pour une autre solution : à la suite du décès d’un ami très cher il y a à peine deux ans, il décide de traiter l’« affaire » à sa particulière et très théâtrale manière, dans ce qui pourra apparaître comme un ultime pied de nez à la vie, à la mort, comme on dit. Un pied de nez qui est le masque d’une pudeur extrême. Il y a bien de cela dans Les derniers jours, un titre qui affronte la réalité avec élégance et tact.


Jean-Michel Rabeux ne part pas seul pour dire la mort de l’ami – dont il a recueilli des mots et des paroles épars –, auprès duquel il était en compagnie de Claude Degliame, bien sûr. L’actrice est toujours là sur le plateau en compagnie des fidèles Olav Benestvedt, Yann Métivier, Georges Edmont et Juliette Flipo. À eux cinq d’assumer le dernier hommage. Hommage, vraiment ? C’est tout sauf cela ici, sauf à considérer qu’un authentique hommage, sans fleur ni couronne, consiste plutôt à trouver une forme adéquate pour exprimer l’inexprimable. Sur un plateau de théâtre, au cœur d’une belle et légère installation faite de mobiles de plumes blanches signée Isa Barbier, avec les cinq comédiens portant chacun un nom de personnage de théâtre, du répertoire qu’affectionne, Rabeux, des Atrides à Shakespeare, soit Pénélope pour la femme du défunt récalcitrant, Lear pour celui-ci parce que le personnage mourut dans une totale folie, Pylade, le fidèle Pylade qui sombrera aussi dans la folie, chargé ici de représenter l’auteur en personne – Jean-Michel Rabeux donc rajeuni – un énigmatique majordome muet répondant au nom de sa fonction « Au plumeau », et enfin « à la harpe et au chant », Juliette Flipo qui nous emmène dans des contrées plus douces et rythmées que celles des habituels lamentos. Tout ce beau monde esquisse des pas de danse pour tenter de suivre les derniers moments du futur défunt scrutés avec une méticuleuse attention. Ballet léger qui évoque le théâtre dans le théâtre dans ce qui pourrait être une sorte de cabaret plongé dans le clair-obscur d’une antichambre de la mort. Toutefois rien de lugubre ici, mais quelque chose de tristement joyeux ou de joyeusement triste, avec même quelques pointes d’humour, réalisée avec une extrême intelligence et sensibilité. Nous sommes ici dans un espace-temps très particulier, celui du théâtre précisément qui est le lieu même de la représentation de la mort au travail. Jean-Michel Rabeux, qui pratique l’art théâtral depuis plus d’une quarantaine d’années le sait pertinemment, lui qui possède une parfaite conscience et maîtrise de la grammaire théâtrale.

Jean-Pierre Han