Du rêve au cauchemar

Jean-Pierre Han

13 octobre 2019

in Critiques

Rêves d’Occident de Jean-Marie Piemme. Mise en scène de Jean Boillot. Théâtre de la Cité internationale. Jusqu’au 26 octobre, à 20 heures. Tél. : 01 43 13 50 50. www.theatredela cite.com

L’une des qualités de ces Rêves d’Occident de Jean-Marie Piemme mis en scène par Jean Boillot est de poser de manière subtile et aiguë la question de la réécriture d’un texte célèbre, La Tempête de Shakespeare en l’occurrence. Réécriture, c’est bien le terme employé par les deux intéressés, préféré – on les comprend – à celui d’adaptation. Ce qui marque dès l’abord une volonté d’écart important avec le texte original, tout en ne cessant d’y renvoyer, parfois en négatif, ne serait-ce que dans la dénomination des personnages principaux : Prospero, Caliban, Ariel, Miranda… et avec quelques éléments du cadre, celui de l’île déserte où évoluent les protagonistes en particulier. Reste l’essentiel, celui des uns et des autres, ceux du temps passé, comme ceux du temps présent, dans des configurations différentes, et comme le dit avec justesse le nouvel auteur, « un même désir de lutter contre la finitude », autrement dit une volonté d’outrepasser sa propre condition, sous l’alibi du sacro-saint Progrès, et de lutter contre la mort, le tout dans des fictions forcément différentes, mais l’esprit y est. Est-ce si « occidental » que cela ? Pour ce qui est du rêve, et de l’utopie… Comme le dit avec beaucoup de justesse Jean Boillot, le commanditaire de ce travail, il y a « déport » de la pièce du grand Will… Auteur dramatique que l’on connaît et apprécie, Jean-Marie Piemme a écrit là – et non réécrit donc – un texte d’une belle et haute envergure, et Jean Boillot réalisé un travail tout à fait probant en se jouant (dans tous les sens du terme), des nombreux pièges qu’il pouvait receler. Pièges de l’espace et de la temporalité notamment. Dans une scénographie signée Laurence Villerot qui aide au mieux le spectateur à trouver son chemin dans le labyrinthe de la fiction, Jean Boillot dirige ses comédiens, Philippe Lardaud (Ariel) à Isabelle Ronayette (Sycorax) en passant par Régis Laroche (Prospero), Axel Mandron (Caliban), Nikita Faulon (Xénia), Cyrielle Rayet (Miranda), de la meilleure façon qui soit, c’est-à-dire avec une fermeté qui laisse toutefois assez de liberté pour que leurs personnalités puissent s’exprimer. Il a surtout eu la lumineuse idée d’entremêler – de superposer, dit-il – le texte de Jean-Marie Piemme incarné et joué par les comédiens avec une partition musicale signée Jonathan Pontier. Avec Ars Nova sont réunis trois musiciennes, deux percussionnistes (Mathilde Dambricourt et Lucie Delmas) et une chanteuse (remarquable Géraldine Keller) qui viennent s’intégrer à l’ensemble, entre ponctuation et décalage de l’action dramatique. Cela confère au spectacle une teneur telle qu'elle rend ces rêves âpres, dérisoires et pour tout dire terrifiants.

Jean-Pierre Han