FESTIVAL D'AVIGNON IN

Jean-Pierre Han

16 juillet 2019

in Critiques

Pédagogie théâtrale

Phèdre ! d’après Jean Racine. Mise en scène de François Gremaud. Collection Lambert. Jusqu’au 21 juillet à 11 heures 30. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

François Gremaud, par la bouche de son interprète, Romain Daroles, a bien raison de nous prévenir qu’il y a dans son spectacle deux Phèdre distinctes, celle de Racine, bien évidemment, et puis à laquelle il rajoute un point d’exclamation au titre et devient ainsi celui de sa propre proposition. Côté Phèdre de Racine, Romain Daroles s’empare tranquillement de tous les rôles, dresse leur portrait physique au point qu’on les reconnaît aisément sans qu’il soit besoin d’entendre une seule de leur parole. C’est à mourir de rire avec Théramène en vieillard cacochyme, Oenone en manipulatrice marseillaise, Phèdre en grande évaporée et Thésée en fier à bras, et même la presqu'invisible Panope en femme de ménage… Mais le prodige c’est qu’avec cette galerie de personnages hauts en couleurs, nous sommes quand même piégés et nous retrouvons pris dans les rets de la tragédie. D’autant plus que le texte, à la fois raconté et lui aussi gentiment caricaturé, est régulièrement mis en perspective et donné dans une énonciation des vers parfaitement correcte et conforme à la manière de les faire chanter. Il ne manque pas le moindre petit pied aux alexandrins !. Rien de plus naturel puisque l’orateur nous aura fait un fort savant cours sur la question (sur l’hémistiche, la rime féminine et la rime masculine, etc., qu’il aura redéfini…). De même qu’il aura auparavant disserté sur la généalogie des protagonistes. Une mise au point ou mise à niveau de nos connaissances sur la question qui se révèle fort utile. Tout cela finalement réalisé de la manière la plus pédagogique possible. Une pédagogie qui ne dit pas son nom, mais quand elle en arrive à ce point d’excellence (liée à la drôlerie), on est prêt à en redemander. Ce que réalise Romain Daroles, gaillard longiligne avec le sourire aux lèvres et à l’articulation soignée afin que nous ne perdions pas une miette de ce qu’il est en train de nous apprendre, tout cela est prodigieux et en fin de compte, je l'ai dit, parfaitement pédagogique. L’Éducation nationale devrait le recruter : il n’aurait pas devant lui des élèves bâillant d’ennui, mais des jeunes spectateurs en redemandant toujours plus pour parcourir le répertoire classique et contemporain… François Gremaud et Romain Daroles ou une manière pernicieuse (et délicieuse) de nous apprendre les rudiments puis les subtilités de la langue française…

Jean-Pierre Han