FESTIVAL D'AVIGNON OFF

Jean-Pierre Han

15 juillet 2019

in Critiques

De la dignité humaine

Le Rouge éternel des coquelicots de François Cervantès. Mise en scène de l’auteur. 11. Gilgamesh Belleville à 22 h15. Jusqu’au 26 juillet. Tél. : 04 90 89 82 63.

Les quartiers Nord de Marseille, François Cervantès les connaît plutôt bien. C’est là, pas loin de la Scène nationale du Merlan avec laquelle il a une relation privilégiée, qu’il a rencontré Latifa Tir qui tenait un snack-bar, juste avant que celui-ci ne soit démoli comme le reste du quartier. Il a beaucoup échangé avec cette femme dont les parents sont arrivés à Marseille dans les années cinquante au moment même où justement les quartiers Nord commençaient à être construits. Latifa Tir lui a donc raconté à sa manière son roman familial, avec notamment la généreuse figure de son père qui, après maintes péripéties, a créé et géré à sa manière le snack. L’histoire de cette femme est étonnante et forte, elle nourrissait déjà l’Épopée du grand Nord que l’auteur-metteur en scène présenta en 2017 au Merlan. 15 personnes, amateurs issus du quartier et professionnels mêlés, évoquaient la vie du lieu. Catherine Germain faisait partie de l’aventure dans laquelle elle interprétait le personnage de Latifa. Les deux femmes se sont donc rencontrées à cette occasion et noué des liens qui n’ont pas échappé à François Cervantès qui a donc décidé de faire spectacle de ce moment particulier entre les deux femmes, Latifa acceptant d’apparaître sous les traits de la comédienne. Voici aujourd’hui ce spectacle, deuxième épisode de l’Épopée du grand Nord, dans lequel, même si l’histoire parle avec précision de la lutte des habitants et de Latifa pour sauvegarder son instrument de travail, ou d’ accepter son expulsion, mais dans des conditions décentes.

Le résultat est une totale réussite, parce que François Cervantès ne s’est pas borné à se documenter auprès de Latifa et à retranscrire son histoire telle quelle. Il y a là un véritable travail d’écriture – Cervantès, il n’est pas inutile de le rappeler, est l’auteur de très nombreux textes, et il possède dans le domaine de l’écriture, comme dans celui de la mise en scène, une belle et impressionnante expérience – qui dépasse très largement le simple témoignage de Latifa, aussi bouleversant soit-il, pour devenir objet et parole théâtrale. C’est fait avec une belle habileté, jouant même – pur plaisir – d’une certaine mise en abîme théâtrale. Tout cela au service d’une comédienne, Catherine Germain, qui a délaissé ses habits de clown, pour interpréter le rôle de Latifa, pour accueillir ses paroles dans son propre corps, avec un minimum de gestes et de déplacements. Ce qu’elle réalise là est exceptionnel d’intelligence et de rigueur : il n’en fallait pas moins pour rendre compte du combat de Latifa Tir au nom de la dignité humaine.

Jean-Pierre Han