FESTIVAL D'AVIGNON OFF
Une leçon de comédie
La Dernière bande de Samuel Beckett. Mise en scène de Jacques Osinski. Théâtre des Halles. Jusqu’au 28 Juillet à 21 heures 30. Tél. : 04 32 76 24.51
Il y a deux ans maintenant, nous avions été saisis, au sens fort du terme, par la prestation de Denis Lavant dans Cap au pire de Samuel Beckett. Deux ans plus tard donc, dans le même lieu, le Théâtre des Halles que dirige Alain Timar, le revoilà, toujours en compagnie de Beckett, mais dans la Dernière bande, cette fois-ci. Entre les écritures de La Dernière bande et Cap au pire, plus de vingt ans se sont écoulés, et on pourra toujours en déduire qu’entre les deux textes la pensée de l’auteur s’est encore radicalisée, si faire se peut. Est-ce à dire qu’entre les deux spectacles signés par Jacques Osinski il y aurait une liaison chronologique, ce qui expliquerait peut-être que cette fois-ci Denis Lavant, son interprète, n’est plus immobile, figé à tout jamais ? Ce serait pousser le raisonnement un peu loin ; disons simplement que nous sommes ailleurs. La figure de Krapp, le vieil homme qui s’enregistre à chacun de ses anniversaires et réécoute les bandes à la recherche de sa propre vie, est effectivement différente de celle du personnage choisi de Cap au pire. Et là, Jacques Osinski, le complice de toujours, très à son aise sur le vaste plateau du Théâtre des Halles, joue de cet espace et étire le temps, à n’en plus finir : silence, long silence, assis immobile à son bureau, face à son magnétophone, Krapp laisse s’égrener le temps, avant de pousser un soupir, et commencer à bouger, faire quelques pas vers les tiroirs du bureau à la recherche d’une banane. Le rituel a commencé. Ce que réalise Denis Lavant en vieux clown fatigué et désarticulé est proprement stupéfiant. Et vous saisit à la gorge. Dans son vieux costume élimé, c’est tout l’art du comédien qu’il nous fait toucher du doigt.
Jean-Pierre Han
Photographie : © Pierre Grosbois