FESTIVAL D'AVIGNON IN

Jean-Pierre Han

6 juillet 2019

in Critiques

Décevante ouverture du Festival

Architecture de Pascal Rambert. Mise en scène de l’auteur. Festival d’Avignon, Cour d’honneur du palais des papes. Jusqu’au 13 juillet, à 21 h 30. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Pascal Rambert ne manque pas d’une ambition affichée et annoncée. En témoigne son Architecture présentée dans la Cour d’honneur du palais des papes et qui, selon les mots mêmes de l’auteur-metteur en scène, est rien moins qu’« un memento mori pour penser notre temps »… Tout cela à travers la description d’une grande famille dominée par la figure dictatoriale du père, et dont tous les membres sont néanmoins de brillantissimes personnalités dans le monde de la pensée. Une grande famille, donc, saisie entre le lendemain de la Première Guerre mondiale et les prémices de l’Anschluss, et qui finira, à l’image du monde, dans un total naufrage. Une grande fresque qui nous rappelle celle des Damnés d’après Visconti, présentée ici même, dans la Cour d’honneur du palais des papes, il y a deux ans…, mais à la conception et au traitement bien différents. D’emblée, à l’annonce du titre, Architecture, Pascal Rambert annonce la couleur. Cette architecture ne concerne d’ailleurs pas seulement la gestion de l’espace scénique – il signe aussi la scénographie rebaptisée pour l’occasion « installation » – mais l’ensemble de l’œuvre. Et c’est là où le bât commence à blesser. Car enfin, si architecture il y a, elle est pour le moins décevante en ce qui concerne la structure, voire la conception même de la pièce. On verra pourquoi. Rambert avait pourtant mis tous les atouts de son côté : son œuvre commencée avant qu’il n’apprenne qu’elle devait faire l’ouverture du festival dans la Cour d’honneur, en raison du désistement d’un autre artiste, et donc réajustée pour le lieu et le « large » public d’Avignon (!), cette œuvre devait reprendre et rassembler en son sein, si on ose dire, ses vingt-cinq années de travail théâtral, jalonnées de grands succès. Une œuvre-fleuve qui dure ici près de quatre heures. Surtout, viennent ici lui apporter leur indéfectible soutien les acteurs emblématiques, des complices, qui l’ont accompagné tout au long de son aventure. Leur simple énumération fait rêver : Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferlane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès qui, sociétaire de la Comédie-Française, faisait partie de la distribution des Damnés, ici en alternance avec Pascal Rénéric, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber et Bérénice Vanvincq. Mais ce n’est justement qu’un rêve, vite évanoui, car cela ne marche pas, ne peut pas marcher, en raison même de la structure de la pièce et parce qu’enfin une œuvre théâtrale n’est pas un défilé de « vedettes », aussi prestigieuses soient-elles, et qu’une harmonie est nécessaire, avec des rôles qui ne peuvent pas être d’une totale égalité, et surtout de véritables liens entre les protagonistes. Or, dans un grand souci d’équité, Rambert accorde aux uns et aux autres, à peu près les mêmes temps de passage, longs monologues émis quasiment immobiles, face au public. À ce jeu d’ailleurs, les partitions ne sont pas toutes d’égales valeurs. Ce qui est logique si on veut bien considérer que, comme souvent chez Rambert, les comédiens ont dû mettre la main à la pâte, ce que semble d’ailleurs avaliser la dernière partie de la pièce où tous se retrouvent, toujours face au public, ordinateur ouvert, en train de mijoter leurs textes… Je ne m’amuserai pas à détailler le mérite de chacun et à les comparer : ce ne serait pas très juste, ni charitable puisque l’œuvre se veut chorale, voire « collective ». Disons simplement que la figure centrale tenue par Jacques Weber, en véritable déclencheur, selon les dires de Rambert, du projet d’écriture aurait mérité un meilleur sort, justement au plan de l’écriture, alors même que la sonorisation, dans la première partie, brouille sa diction que l’on sait par ailleurs parfaitement impeccable ! C’est un spectacle défait (ou pas fait) que l’on nous présente tout au long de la longue soirée, bien loin des ambitions annoncées.

Jean-Pierre Han