Wajdi Mouawad au plus fort de sa recherche

Jean-Pierre Han

27 mai 2019

in Critiques

Fauves de Wajdi Mouawad. Mise en scène de l’auteur. Théâtre national de la Colline, à 19 h 30. Jusqu’au 21 juin. Tél. : 01 44 62 52 52. billetterie.colline.fr

Avec Wajdi Mouawad, désormais, nous nous retrouvons toujours, avec plaisir et circonspection, en pays de connaissance. Ses fresques familiales connaissent des développements qui parviennent encore à nous surprendre. Jusqu’où ira-t-il ? Car enfin, déjà, à la fin de son dernier opus, Fauves, nous nous retrouvons (enfin un de ses personnages, le fils du personnage principal) dans l’espace, avec spacionaute dialoguant avec les terriens que nous sommes… Il est vrai que l’espace est infini, mais tout de même ! Pour en arriver là, il aura fallu bien des détours et bien des discours dont l’imagination fertile de l’auteur nous aura comblé. Faudra-t-il bientôt ouvrir les portes de la salle pourtant vaste du Théâtre de la Colline ? Avant cet improbable épilogue, Wajdi Mouawad nous aura saisi à la gorge près de quatre heures durant et n’aura jamais desserré son étreinte, car autant le dire, même avec des développements à la logique aussi tortueuse qu’improbable, l’auteur parvient à nous convaincre de l’accompagner dans l’exploration de son roman familial. Il joue d’ailleurs cartes sur table et intitule carrément son œuvre de Fauves… Un titre qui nous renvoie directement à une autre de ses œuvres, romanesque celle-là, sur laquelle il travailla une dizaine d’années, une œuvre monumentale dans tous les sens du terme, Anima. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le titre qui rapproche Fauves d’Anima : il y a là un même impitoyable développement, une sorte de machine infernale, comme aurait dit Cocteau, mise en branle. Ce n’est pas tout à fait un hasard non plus si Wajdi Mouawad s’est intéressé de très près aux tragiques grecs, revenant sur la question des origines, du deuil, de l'inceste, des meurtres, de l’inéluctable marche du destin.

Rien d’étonnant si, une fois de plus, la pièce débute par la convocation chez un notaire d’un homme dont la mère vient de disparaître. C’est l’ouverture d’une incroyable boîte de Pandore… Habile, Mouawad multiplie les mises en abîme : l’homme en question est un cinéaste en plein tournage, et que tourne-t-il justement ? On vous laisse l’imaginer. L’intérêt du spectacle, c’est que le metteur en scène, ici, prend matériellement le relais de l’auteur et multiplie de son côté les mises en abîme, car, bien évidemment l’une des scènes filmée, un meurtre comme par hasard, doit être prise et reprise, développée avec un infime écart à chaque fois et surtout visualisée selon un angle différent. Et Wajdi Mouawad propose différents angles de vue, reprend la scène, cherche comment la saisir et la filmer, et c’est en même temps le metteur en scène qu’il est qui cherche comment raconter sa propre histoire. Il y a là, dans cette recherche, quelque chose d’éminemment touchant et de vraiment novateur à défaut d’être toujours convaincant.

Recherche et maîtrise, car la gestion du travail théâtral dans les solutions proposées, et surtout dans la direction d’acteurs est particulièrement probante. Tous jouent le jeu, c’est le cas de le dire, avec rigueur et générosité, à commencer par Jérôme Kircher qui interprète de rôle du cinéaste au prénom prédestiné d’Hippolyte, entouré de Ralph Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Maxime Le Gac-Olanié,, Norah Krief, Gilles Renaud et Yuriy Zavalnyouk, une formidable équipe pour une gigantesque saga, avec ses boursouflures, ses redites, mais il faut se faire une raison et saisir Wajdi Mouawad avec ses excès, ce que l’on pourra appeler ses délires. Mais sans ces excès Wajdi Mouawad serait-il encore Wajdi Mouawad ?

Jean-Pierre Han