Une Bérénice

Jean-Pierre Han

7 février 2019

in Critiques

Bérénice de Racine. Mise en scène Isabelle Lafon. Spectacle créé au TGP de Saint-Denis. Tournée à la MC 2-Grenoble en février du au 14 février, puis au Théâtre Firmin Gémier/La Piscine, Châtenay-Malabry.

Mais qu’ont-elles donc toutes avec Bérénice ? L’an passé Célie Pauthe s’y était déjà collée dans un spectacle qui ne restera pas dans les mémoires, et avec juste un petit ajout explicatif d’un poème de Baudelaire : « sois sage ô ma douleur, et tiens-toi tranquille… ». Cette saison Laurence Février nous livre des fragments d’après la pièce de Racine, uniquement interprétés par des femmes. En mars prochain, c’est au tour de Valérie Dréville d’endosser le rôle de la reine de Palestine, sous la houlette d’un homme quand même (!), Gaëtan Vassart. Entre-temps, et indépendamment d’autres versions qui nous auront échappé, Isabelle Lafon nous a offert sa version condensée (1 h 15) de l’œuvre du poète dramatique. Sa substantifique moelle en quelque sorte, et avec toujours le même bonheur (que l’on se souvienne de sa mise en scène de La Mouette, devenue Une Mouette, interprétée par cinq femmes). Son spectacle aurait d’ailleurs pu s’intituler "Une Bérénice" puisque seuls cinq comédiens assument avec talent et conviction la partition de Racine, soit quatre femmes, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon elle-même, Judith Périllat, pour un seul homme, Pierre-Félix Gravière, ce qui pour le coup confère à ce dernier une plus grande importance, comme si, au lieu de tourner autour de la personne de Bérénice, la pièce gravitait autour de lui. Étrange retournement de situation pour un rôle (Antiochus l’ami de Titus) apparemment secondaire par rapport au « couple » Bérénice-Titus. Comédiens assis à une table dans un coin de l’immense scène du TGP de Saint-Denis sciemment laissée dans son état de délabrement (c’est tout un art), répétant puis se saisissant soudainement du texte, les cartes sont alors redistribuées. Et cela fonctionne à merveille. L’alexandrin de Racine avec sa profonde rythmique retrouve tout sa force. Ce qu’accomplissent les cinq interprètes prend tout son sens dans leur évolution corporelle même alors que cela pourrait paraître hors de propos. Il n’en est rien, c’est simplement beau car le vers racinien prend corps, et la présence d’Isabelle Lafon durant la plus grande partie du spectacle, observatrice (metteure en scène) muette discrètement collée contre un mur, forte et intrigante, dirige pour ainsi dire notre regard vers ce qui se joue sur le plateau. Bérénice de Racine ? Oui, bien sûr, et de belle manière, mais c’est autre chose aussi qui se donne là.

Jean-Pierre Han