Portrait d’une époque

Jean-Pierre Han

21 janvier 2019

in Critiques

Les Idoles de Christophe Honoré, mise en scène de l’auteur. Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 1er février à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40.

Théâtre à la première personne du singulier ? On pourrait le croire à voir Les Idoles de Christophe Honoré qui débute d’ailleurs par la voix off de l’intéressé expliquant que ces idoles, Cyril Collard, Serge Daney, Jacques Demy, Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce ont marqué à tout jamais l’adolescent qu’il fut en Bretagne. Leur point commun ? Tous atteints du sida, ils ont disparu entre 1989 et 1995, aux alentours de la quarantaine, Jacques Demy excepté qui est mort à l’âge de 59 ans. S’ils évoluaient tous dans le domaine artistique, ils œuvraient dans des sphères différentes, Cyril Collard et Jacques Demy étaient cinéastes, Hervé Guibert écrivain et journaliste, métier qu’exerçait Serge Daney, quant à Koltès et Lagarce, ils sont surtout connus pour avoir travaillé dans le secteur théâtral. Un kaléidoscope d’activités qui rend leurs dialogues (si dialogue il devait y avoir) malaisés, contrairement à ce qui se passait dans un des spectacles précédents de Christophe Honoré consacré aux écrivains réunis sous l’appellation du Nouveau roman. Et si ce spectacle semble à première vue plus probant que Les Idoles, c’est précisément parce qu’exerçant tous la même activité, les personnages du spectacle pouvaient dialoguer de manière cohérente, à partir de la même matière. On pourra certes rétorquer qu’ici la cohérence du sujet ne réside pas dans l’activité des uns et des autres, mais dans la manière dont chacun a pu ou voulu aborder la question du mal qui les avait atteint. C’est bien la question du sida qui se dessine et cimente le sujet des Idoles, et le tableau d’une société, celle des années 90 juste avant que n’apparaissent les traitement de trithérapies. La cohérence du propos aurait pu être affermie si Christophe Honoré avait clairement poursuivi la veine autobiographique (la sienne) ébauchée en début de spectacle. Il ne le fait pas vraiment et on pourra le regretter, préférant d’ailleurs dès l’élaboration du projet travailler de manière différente. Lui, que l’on a connu dans un premier temps comme écrivain, a délibérément opté pour une autre façon d’opérer, plus dans l’air du temps, et qui consiste à impliquer les comédiens dans une travail de recherche documentaire approfondie et ensuite d’improvisation sur le plateau. Dès lors ce sont des sortes de témoignages éclatés qui apparaissent et qui se traduisent sur le plateau par une série de séquences d’une inégale valeur. À ce jeu, il est évident que la palme revient à Marlène Saldana qui interprète, de manière déjantée comme toujours, le rôle de Jacques Demy (excellente idée que de n’avoir pas joué la carte du réalisme et donc de la ressemblance avec les personnes évoquées). Ravi, le public applaudit le numéro (c’en est un). Immanquablement la comparaison s’impose alors avec les autres numéros, celui de Marina Foïs disant à voix difficilement audible le texte d’Hervé Guibert évoquant la mort de Foucault par exemple, sans parler d’autres carrément moins intéressants, comme celui concernant Koltès ; c’est mettre ainsi le spectateur dans une position qui ne devrait pas être la sienne… Les personnages évoqués n’arrivent pas à vraiment prendre forme, et pour qui ne les connaîtrait pas, tout cela reste quelque peu abstrait. La question étant de savoir pour qui s’adresse le spectacle… C’est d’autant plus regrettable que la réalisation de Christophe Honoré, écrivain (en retrait ici), cinéaste et metteur en scène, est digne d’éloge aussi bien dans sa direction d’acteurs évoluant avec aisance dans la belle scénographie d’Alban Ho Van, que dans la gestion sonore et musicale de son spectacle.

Jean-Pierre Han